Témoignage de Valérie Sugg


Comme promis dans notre précèdent témoignage de psy reconvertie, voilà celui d’une autre ex-psy !😉


Psy dans un service hospitalier, en cancérologie : parcours de combattants


J’ai passé 20 ans dans un service de cancérologie en milieu hospitalier. Les débuts ont été difficiles, vous vous en doutez ! Entre une formation très psychanalytique qui m’avait fournie peu d’outils concrets (mais une bonne théorie), l’image assez négative des psychologues d’alors et le souvenir angoissant qu’avait laissé la précédente psychologue, ce n’était pas gagné de me faire accepter au sein de l’équipe. Il a fallu du temps, expliquer ce que je pouvais apporter dans l’accompagnement des personnes malades en lien avec leur travail, tisser des liens, entendre les attentes de chacun. Il y avait à peu près 140 personnes chaque jour qui venaient faire leur séance de radiothérapie, de quoi occuper mes journées et celle d’une collègue qu’il aura fallu des années pour que la direction reconnaisse son utilité et la mienne aussi. Si finalement, j’ai pu instaurer une relation de confiance avec une bonne partie de l’équipe c’est en partageant avec eux le quotidien et en mettant des mots, le plus possible, sur ce que certaines situations pouvaient faire vivre aux personnes malades (salles de traitement, contentions etc…).


Au cours de ces années, j’ai cherché partout des outils concrets pour accompagner ceux qui en ressentaient le besoin. J’ai toujours regretté que la formation ait été aussi peu aidante pour faire face aux situations du quotidien et n’ai pas suivi certains principes de l’époque (j’espère qu’ils ne sont plus d’actualité) comme la neutralité bienveillante, attendre la demande, etc… Ce sont des notions à dépoussiérer, à revisiter, voire parfois à contourner parce que concrètement, dans un service hospitalier, si vous n’allez pas au-devant des personnes malades, vous pouvez attendre longtemps dans votre bureau à jouer à Candy Crush ou autre ! Quant à la neutralité bienveillante quand on se retrouve face à des personnes en fin de vie, des personnes en grande souffrance physique et/ou psychologique, il est parfois nécessaire de les toucher et autrement que par des mots. Je sais, je vais scandaliser certains psychologues mais le toucher a toujours fait partie de ma pratique, selon les situations bien sûr, et parce que l’on ne peut pas séparer l’esprit du corps et prétendre vouloir aider psychologiquement sans venir en soutien physiquement parfois, notamment dans l’accompagnement en fin de vie où justement les personnes ont tant besoin qu’on les touche encore. Mais bon, chacun sa pratique, je décris ce qui a été la mienne.


Plus l’envie d’être psy…


Je crois qu’après une vingtaine d’années, j’avais donné tout ce que j’avais à donner, que ce travail est passionnant mais qu’il exige beaucoup d’énergie, de temps, de remises en question permanente de notre pratique. Je pense aussi que malgré une excellente supervision mensuelle, je me suis usée, j’ai estimé qu’il était temps pour moi de laisser la place aux jeunes ! Et puis, l’évolution du système de soins, la dégradation générale des conditions de travail en milieu hospitalier, le projet de réunir les psychologues de l’hôpital au sein d’un pool de psychologues qui répondraient aux demandes au coup par coup, tout cela ne m’enchantait pas du tout. C’est déjà un métier complexe, en milieu hospitalier, les relations avec les médecins ne sont pas toujours simples, bon nombre pensent encore que nous ne servons à rien. Il faut donc résister, tenter d’expliquer l’intérêt de notre travail, de notre présence auprès des personnes malades etc… Bon, en cas d’urgence, quand une personne craquait, pleurait, s’agitait, comme par un fait étrange, dans ces cas précis, ils ne se posaient plus la question et me bipaient pour que je vienne gérer cet insupportable émergence d’émotions qui les tétanisaient en consultation. Mais bon, même si les personnes malades savaient bien en quoi l’accompagnement psychologique pouvait les étayer, j’avoue que j’ai eu envie de passer à autre chose.


Je veux devenir auteure !


Après mûre réflexion, discussion avec mon conjoint, j’ai choisi de faire autre chose. Afin d’assurer quand même mes arrières, je me suis mise en disponibilité d’abord un an, avec la possibilité de la renouveler plusieurs fois. J’adorais l’écriture, j’ai voulu tenter. Je crois profondément que la vie est trop courte pour ne pas tenter de réaliser nos rêves. Et au pire, si je n’y arrivais pas dans l’écriture, je pouvais revenir, c’était une expérience donc forcément quelque chose de positif ! Je dois avouer que tous mes proches n’avaient pas cet optimisme et que certains « ben voyons ! », « mais t’es dingue ! », « c’est un truc de ouf ! » ont tenté de me faire croire que le risque était trop grand, que ce changement dérangeait mais finalement ce qui gêne souvent les autres c’est que l’on puisse oser faire ce qu’ils n’oseront jamais. Chacun sa route !


Alors je me suis lancée


Du jour au lendemain, me retrouver dans mon bureau à la maison, devant mon ordinateur et une page blanche, j’avoue que j’ai un peu flippé ! Les « tu vas pas y arriver » « finalement j’étais bien à l’hôpital » « le contact avec les patients va me manquer » etc… tournoyaient dans ma tête, se répétaient en écho etc… mais j’ai résisté. J’avais une idée, écrire un livre sur les différentes étapes du vécu du cancer avec bien sûr des éléments de psychologie mais aussi une certaine dose d’humour et surtout, l’envie de déculpabiliser ceux qui traversaient une telle épreuve. Les « y’a qu’à faut qu’on » dans les médias, les « vous vous êtes donné le cancer » et toutes ces théories culpabilisantes, ces « tumeur= tu meurs » et autres abords ont fait tellement de mal aux personnes malades qui venaient en larmes me voir, hyper-culpabilisées d’être malades et me disant « je suis nul(le), j’ai tout faux, c’est de ma faute » et j’en passe, que j’ai eu envie de proposer mon approche. Finalement, ayant toujours aimé l’écriture, j’ai pris plaisir à me mettre à mon bureau tous les jours pour écrire ce livre. Besoin de répondre aux attentes des personnes malades et leurs proches au travers de ce livre mais aussi pour moi, une façon de prendre du recul avec ce que j’avais vécu, de mettre aussi des mots sur ce que j’avais vécu.


Et maintenant je suis auteure!


A peine le manuscrit fini, je l’ai envoyé à des éditeurs, et, alors que nous étions au fin fond de l’Argentine, vers Ushuaia, mon téléphone qui n’était pas sensé recevoir de messages dans cet endroit perdu a émis un bip, il y avait un message : un éditeur était intéressé. C’est ainsi qu’est paru « Cancer : sans tabou ni trompette » en 2016, puis « l’Hôpital sans tabou ni trompette : soignants et soignés en souffrance » en 2017 dans lequel j’aborde, avec humour mais pas que, les dérives hallucinantes du milieu hospitalier, des Ehpad etc.

Ensuite en octobre 2018, j’ai publié « Cancer: l’accompagnement » toujours aux éditions Kawa. J’y raconte mon quotidien de psychologue en milieu hospitalier au travers de trente portraits de personnes malades que j’ai pu accompagner. J’y raconte mes peurs, mes doutes, mes questionnements, mes moments de colère, de tristesse etc. Je donne également les outils que j’ai pu élaborer au fil de ma pratique afin que ceux qui le souhaitent puissent les copier, les améliorer, en faire autre chose.


Ça fait quoi de changer de route ?


Je suis ravie de cette nouvelle expérience qui reste quand même financièrement difficile parce qu’il ne faut pas rêver, ce n’est pas si simple de faire connaître et vendre ses livres même avec un éditeur. J’ai pu ainsi allier mon métier de psychologue à l’écriture. Je suis d’ailleurs en train de passer à une autre étape avec l’écriture d’un roman, une nouvelle aventure ! J’assume pleinement ce choix, je ne regrette pas mon métier de psychologue même si je l’ai adoré.


Des conseils ?

Oh non, de quel droit je donnerai des conseils à quiconque. Enfin si, peut-être, écoutez votre voix intérieure et osez, foncez, la vie est belle, à vous d’en profiter ! J’espère aussi que les jeunes générations de psychologues vont améliorer l’image parfois négative de notre profession. Je crois sincèrement que l’on peut-être un(e) bon(ne) psychologue sans s’habiller de couleurs sombres et se mettre toujours à distance de l’autre en évitant de le toucher. Je crois que l’on peut tout à fait maintenir son cadre, rester thérapeute tout en se présentant vêtu de façon colorée, avec le sourire et une bonne dose d’empathie. Pour le reste, je souris quand j’entends des proches me dire « Et tu vas bientôt retravailler ? » « L’hôpital ne te manque pas ? » etc… Je rappelle qu’écrire reste quand même un vrai boulot même si les représentations ont là aussi du mal à évoluer et que l’important, l’essentiel, c’est avant tout d’être heureux dans ce que l’on fait.

Valérie Sugg


Sa page Facebook : Valérie Sugg Cancer Hôpital Santé

Ses ouvrages aux éditions Kawa:


Si comme Amélie et Valérie Sugg, vous voulez témoigner de votre changement de métier après avoir été psy, écrivez-moi à : [email protected]