UN PSY + UN PAYS = UNE EXPÉRIENCE PAR-DELÀ LES FRONTIÈRES. Aujourd’hui on s’arrête au Portugal pour découvrir le parcours de notre psychologue Amélie.


A travers les témoignages recueillis nous souhaitons explorer ce que peut être la pratique professionnelle de la psychologie ici et ailleurs. Si vous exercez vous-même dans un pays autre que la France métropolitaine, écrivez-moi ([email protected]), nous nous ferons une joie de publier votre témoignage.


Notre psy


Amélie Trupin, psychologue

Je m’appelle Amélie. L’événement déclencheur de mon installation au Portugal a été ma rencontre fin 2009 avec Pedro à un colloque international. Début 2011 après un an de relation à distance, je me suis installée près de Lisbonne, où il vivait. Une décision d’amour qui a eu un coût professionnel plus élevé que je ne l’avais imaginé.


Son parcours de formation


J’ai terminé mon master professionnel de Psychologie Clinique, spécialité enfants, adolescents et familles, à Lille en 2006, avec un passage par l’Université de Montréal en 2003. Entre 2000 et 2006, j’ai travaillé les étés dans le centre social d’un hôpital psychiatrique et fait des stages en pédopsychiatrie et psychiatrie adulte, en foyers d’enfants et adolescents, en centre de jour pour enfants, et dans une association qui recevait des personnes qui se prostituaient.


Ensuite, j’ai fait un master recherche en Philosophie, puis j’ai commencé un doctorat à Aix-en-Provence sur des thématiques d’éthique et philosophie du langage (faisant le pont entre théories psychanalytiques et philosophie analytique). Entre 2008 et 2011, pendant mes études de philosophie, j’ai travaillé à temps partiel comme psychologue dans un Ehpad près d’Avignon. Ça n’a pas été une expérience facile, pas seulement car la psy-gérontologie et les soins palliatifs n’étaient pas ma spécialité et que je n’avais eu aucune expérience préalable, mais surtout parce que c’était une création de poste et l’équipe était assez hostile à la venue d’un psychologue et avait pas mal de préjugés. J’ai plusieurs fois surpris des membres de l’équipe l’oreille collée à la porte des chambres pendant que j’étais avec un patient… C’est finalement devenu une très belle expérience où je suis beaucoup intervenue en formation et intervision d’équipe avec un impact sur la prise en charge des résidents.


Le Monastère des Hiéronymites, Lisbonne

Son intégration portugaise


Quand je suis arrivée au Portugal, la plupart des portugais voyaient leurs revenus considérablement diminuer, leurs impôts augmenter et donc leur pouvoir d’achat impacté. L’une des raisons principales est que le Portugal a été fortement touché par la crise (bon timing…).

Le premier ministre de l’époque avait fait un discours où il conseillait aux jeunes diplômés portugais de quitter le pays !


En arrivant, j’ai d’abord travaillé dans la manutention pour une entreprise de distribution de maillots de bain brésiliens, pendant deux ans. Entre temps, j’ai dû abandonner mon doctorat car rien que pour payer les frais d’inscription, cela représentait plusieurs mois de ce que je gagnais au Portugal. Après ce premier emploi, je suis devenue professeure de français langue étrangère. Quand j’ai considéré que je parlais suffisamment bien portugais, je me suis finalement rapprochée de l’Ordre des Psychologues Portugais, pour m’y inscrire et donc pouvoir exercer.

Un psy + un pays = une alchimie


Les démarches auprès de l’Ordre des psychologues n’ont pas été aussi simples que je ne l’aurais pensé. Ils insistaient notamment pour que je leur fournisse un document que mon université en France ne pouvait pas fournir (puisqu’il n’existait pas), puis que je fasse une année de stage non rémunérée, ce qui m’aurait encore plus précarisée.


Place du commerce vue depuis le Tage, Lisbonne

Après une année de luttes, j’ai enfin été inscrite à l’Ordre des Psychologues pour pouvoir exercer. Une année plus tard encore, ne trouvant pas d’emploi comme psychologue, et ayant été de manière répétée discriminée de par mes diplômes français aux concours nationaux d’attribution de bourse de doctorat, j’ai dû revoir mes plans professionnels (je commençais à avoir un CV plus riche comme prof de français que comme psychologue…). J’ai donc commencé à exercer bénévolement au sein de l’Association Portugaise d’Aide aux victimes auprès des réseaux d’enfants et adolescents victimes d’abus sexuels et, des familles et amis de victimes d’homicides. Ça m’a permis de recommencer à exercer, de rencontrer des collègues psychologues, me former et connaître le milieu judiciaire et policier du Portugal.


Je me suis également rapprochée de la Société Portugaise de Psychanalyse et l’Antenne du Champ Freudien pour participer à un groupe de supervision, de recherche, séminaire… Ce dont j’avais vraiment besoin après des années d’isolement professionnel comme psychologue, pour échanger et étudier avec des collègues. J’ai été très chaleureusement reçue par les collègues portugais.


Après une sortie du Portugal pendant un an pour le Brésil (où je n’ai pas exercé) je me suis concentrée à trouver un local pour faire du libéral étant donné que les centaines de candidatures aux offres d’emploi de psychologues n’avaient débouché sur aucun entretien les précédentes années. J’ai trouvé une jeune clinique dans laquelle j’exerce avec un fonctionnement qui me convient bien pour le moment : je laisse un pourcentage sur les consultations, je n’ai donc pas de charges de location et peux utiliser le cabinet tous les jours et heures de la semaine sans contrainte.


Et finalement, quand je n’y croyais plus, j’ai eu un entretien début janvier concluant pour intervenir en école auprès d’enfants signalés par les professeurs pour des troubles du comportement, émotionnels, difficultés d’apprentissage, etc., et dont les parents n’ont pas ou très peu de revenus. Nous construisons avec les parents, les professeurs et l’équipe (composée de psychologues, orthophonistes et psychomotriciens) une prise en charge personnalisée pour l’enfant, comprenant évaluation, suivi, aménagement à l’école ou à la maison selon les cas.


Bon à savoir pour travailler au Portugal en tant que psy


Architecture typique du centre ville de Lisbonne

Pour exercer il faut être inscrit à l’Ordre des psychologues portugais, qui demande 8€ de cotisations mensuelles, quels que soient les revenus et même si l’on n’exerce qu’en bénévolat. Pour l’inscription il faut :

  • avoir le niveau B1 en portugais (cadre européen commun de référence pour les langues)
  • et démontrer des diplômes reconnus par la Direction Générale des Études Supérieures ou une université portugaise.

Depuis 2015, l’année de stage qui s’appelle Psicólogo Junior qu’il faut faire après le Master pour pouvoir exercer, est devenue obligatoirement rémunérée. Selon votre expérience professionnelle, vous pouvez être dispensé de ce stage post master.


En 2011, l’Ordre recensait plus de 26% des psychologues sans emploi (je serais curieuse de voir les chiffres actuels), représentant le secteur où le chômage est le plus élevé, avec l’ingénierie. Il faut savoir que ces dernières années au Portugal le service de santé public s’est beaucoup détérioré, les attentes pour les consultations sont très longues et l’offre de soutien psychologique est extrêmement réduite, c’est le parent pauvre de la santé ! Ceci explique aussi pourquoi les portugais en général ont peu recours aux psychologues. De plus, le prix d’une seule consultation représente pour beaucoup un dixième de leur salaire. Le salaire minimum est récemment passé d’un peu plus de 500€ à environ 660€. Aujourd’hui, le panorama de l’emploi au Portugal reste assez morose, mais une claire reprise se fait sentir, et je crois que d’avoir finalement trouvé un emploi ces derniers mois en est un « symptôme » positif. 


Il est également important de savoir qu’il est devenu habituel depuis quelques années de ne pas recruter les personnes avec un contrat et un salaire fixe, mais avec un contrat de travail indépendant, c’est-à-dire : 1/ sans congés payés (en gros quand on ne travaille pas on ne rentre pas de salaire); 2/avec des charges élevées (les cotisations pour la sécurité sociale ont été rabaissées à 21% l’année dernière; 3/ des impôts qui varient entre 14,5% (jusqu’à environ 7000€ de revenus par an) et 48%, (pour plus de 80000€). Une grande partie des portugais paient autour de 30% d’impôts ce qui correspond à des revenus supérieurs à 10000€ par année.


Une bonne nouvelle, cependant, pour l’exercice en libéral, les psychologues ne doivent pas payer la tva de 23% qui s’applique normalement. Et pour la première année d’activité, on bénéficie d’une exemption de la sécurité sociale, mais attention à la douche froide la deuxième année !


Après quelques années ici, il me semble que l’orientation analytique n’est pas la « mieux-venue », avec une préférence très nette sur les offres d’emploi pour une spécialisation en thérapie cognitivo-comportementale (je ne suis donc pas une candidate à la mode sur le marché du travail). De mes années de « galère » professionnelle ici, il ne faudrait donc pas conclure qu’il n’y a pas de possibilité de travail pour des psychologues français ! D’ailleurs ces dernières années, le nombre de français (et étrangers en général) qui se sont installés au Portugal a vertigineusement grimpé. Je l’ai clairement senti aux dernières élections où il a fallu faire la queue 4 heures pour voter, alors que les années précédentes c’était fait en 5 minutes.


En ce qui concerne l’exercice ici, je dirais qu’en général je trouve mes collègues très humbles et en recherche permanente de formation et supervision, très ouverts à la recherche internationale, ce qui est d’autant plus remarquable que les revenus ne sont pas élevés et se former implique des sacrifices financiers conséquents.


Et la langue portugaise dans tout cela ?!


A mon arrivée, je ne parlais pas un mot de portugais et j’ai pris des cours pour avoir le niveau A1. Puis je me suis imposée la discipline quotidienne avec mon mari, mon entourage et mes collègues de travail de ne parler que portugais : démarche qui a amené une grande souffrance linguistique les premiers mois, mais avec un résultat très rapidement satisfaisant. Donc pas de panique avec la langue, c’est faisable rapidement en immersion.


L’aventure d’Amélie vous tente ?


Ensemble des emblèmes du Portugal

Voici des liens qui peuvent être utiles :


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