La psychanalyse à l’épreuve de la post-modernité

La souffrance contemporaine comme impossibilité d’agir

Dans cette interview datant de juillet 2015, l’excellente journaliste Judith Bernard interroge le philosophe et psychanalyste Miguel Benasayag autour de la sortie de son ouvrage La clinique du Mal-être. Cette interview « Dans le texte » est à revoir sur la plateforme Hors série, sur laquelle il est possible de voir et revoir différents contenus pour 3e par mois.

L’interview s’ouvre sur le sentiment du tragique, que Miguel Benasayag définit comme essentiel dans la condition humaine et dans le tissage et les liens qui font l’être-au-monde d’un sujet. Cette perte du sentiment du tragique dans le monde moderne semble pour lui caractériser une souffrance et un mouvement de déliaison, de détissage.

Miguel Benasayag interroge le rapport de la psychanalyse au politique. Il n’admet pas que l’on puisse s’extraire du monde économique, social et culturel dans lequel le sujet en souffrance est pris, est capturé. Il défend donc une dimension politique essentielle à prendre en compte dans la thérapie psychanalytique: il dénonce une psychanalyse familiariste, rapportant tout les liens d’un patient au schéma œdipien et ne prenant pas en compte la réalité matérielle, extérieure.

L’auteur et psychanalyste défend donc l’idée d’une puissance d’action à retrouver, d’un pouvoir agir sur le monde. Il propose également de renouer avec l’idée borgésienne de la multiplicité du sujet, permettant de sortir de l’idéal écrasant d’un sujet uni et indivisible, ayant accéder à toutes les possessions, le « winner ».

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Je vous laisse lire la présentation de Judith Bernard que l’on retrouve sur le site Hors-série et qui présente bien les enejeux de l’interview:

La crise n’est pas seulement partout autour de nous : elle est en nous, au cœur de notre vie psychique, fracassée sur la certitude d’un monde absurde, toxique et finissant. Face à l’expansion des pathologies caractéristiques de l’époque – dépression, xénophobie, alcoolisme, toxicomanie – de nouvelles thérapies ont vu le jour, qui, au delà de l’illusion d’une efficacité aussi immédiate que temporaire, parachèvent bien souvent la dislocation du sujet déjà très entamé par la post-modernité. Miguel Benasayag entreprend de faire le point sur l’état de notre subjectivité, celui de la psychanalyse aujourd’hui, et les conditions de possibilité pour que l’une et l’autre se retrouvent afin de renouer avec la puissance d’agir.

Miguel Benasayag est philosophe et psychanalyste ; né en Argentine où il a été un résistant guévariste, ce qui lui a valu la torture et quatre années de prison, il est arrivé en France en 1978, sachant très bien ce que vivre et lutter veulent dire.  Il y est, depuis, chercheur et clinicien, dans le sillage de l’antipsychiatrie, et l’auteur d’innombrables ouvrages qui balisent son travail depuis des décennies. Il fait partie des rares psy qui n’ont pas laissé se dépolitiser la psychanalyse, et c’est pourquoi son travail nous est infiniment précieux.

Dans Clinique du mal-être, paru à La Découverte en 2015, il expose l’alternative dont il se revendique, philosophique et sociale, et articule la clinique avec l’émancipation, laquelle consiste toujours dans une action en situation. Il y rappelle qu’il n’y a pas de « grande » histoire et de « petite » histoire, mais seulement des façons, plus ou moins puissantes, de participer à l’histoire – il faut donc, comme il dit, « ouvrir la consultation au monde ». Aussi notre entretien s’est-il ouvert sur la crise grecque et ce qu’elle fait aux âmes des peuples, qu’ils soient de Grèce ou d’ailleurs ; et c’est bientôt tout le chaos politique, économique et social de notre monde contemporain qui est venu se loger dans notre échange, puissamment affecté et pourtant (mais logiquement, si l’on est spinoziste)… profondément joyeux !

 

Pour revoir l’interview « Dans le texte » de Miguel Benasayag 

 

Quelques pistes bibliographiques proposées par Hors-série:

Georges Canghilem, Le Normal et le pathologique, PUF, Paris, 1966

Gilles Deleuze et Felix Guattari, L’Anti-Œdipe, Minuit, Paris, 1972

Michel Foucault, Histoire de la sexualité, Gallimard, Paris, 1976

Miguel Benasayag, Pour une nouvelle Radicalité, La Découverte, Paris, 1993

Philippe Pignarre, Comment la dépression est devenue une épidémie, La Découverte, Paris, 2001. Les Malheurs des psys. Psychotropes et médicalisation du social, La Découverte, Paris, 2006.

Miguel Benasayag (avec Gérard Schmit), Les Passions tristes. Souffrance psychique et crise sociale, La Découverte, nouvelle édition 2006

Miguel Benasayag, La Santé à tout prix, Bayard, Paris, 2008.

Angélique Del Rey, A l’école des compétences. De l’éducation à la fabrique de l’élève performant, La Découverte, Paris, 2013.