Article-invité rédigé par Marina TORRE-LIABOT, psychologue sociale/du travail travaillant actuellement à l’Education Nationale. Particulièrement intéressée par la clinique des addictions, elle est également sophrologue, cogérante d’une école de sophrologie et praticienne en hypnose Ericksonienne. Vous pouvez la retrouver Instagram où elle parle avec authenticité (toujours!) de divers sujets concernant ses différentes spécialités. Ah oui… Marina adore casser les codes, et ça chez Psycogitatio on adore !

Je ne sais pas si vous avez vu ce film d’animation de chez Disney, mais si ce n’est pas le cas alors je préfère vous prévenir à l’avance … il va y avoir des moments de spoil dans cet article (sorry!). En tout cas ce que je peux vous dire, c’est que ce film nous apporte et apprend tout un tas de choses. Je ne pourrais donc pas parler de tous les enseignements, de toutes les notions de ce film tant il en est riche.


« Soul » nous propose un voyage dans différents endroits de l’univers, tous plus enrichissants les uns des autres. Ce que je vous propose donc, c’est de partir dans chacun de ces différents lieux d’action, de les contempler et de mettre en lumière certains de leurs enseignements. Alors, vous me suivez ?


Avant cela, je vous propose une brève explication de l’histoire :


Joe

Nous suivons les aventures de Joe Gardner, professeur de musique dans un collège. Joe est un afro-américain new-yorkais passionné de jazz depuis sa plus tendre enfance, passion qui lui vient de son père alors décédé. Il ne voue sa vie qu’à cette discipline dans l’espoir de réaliser son plus grand rêve : monter sur scène et devenir jazzman professionnel (en tant que pianiste).


Un jour, alors qu’on lui offre l’opportunité de réaliser son rêve et de jouer avec la grande Dorothea Williams dans un célèbre club de la ville, un simple accident vient tout briser. Joe, excité et obnubilé par sa future prestation, ne prête plus attention à quoi que ce soit autour de lui et tombe dans une bouche d’égout ouverte. Cet accident lui est fatal.


Il est alors subitement envoyé sur le chemin en direction du « Grand Après » (L’au-delà en d’autres mots). Ne voulant pas mourir le jour où sa vie « vient à peine de commencer », il arrive à s’échapper pour atterrir dans le « Grand avant » : un lieu entre deux mondes où les âmes se voient attribuer leurs traits de personnalités, leurs spécificités et où il leur faut réveiller leur « flamme de vie » avant de pouvoir aller s’incarner sur Terre.


Cherchant désespérément un moyen pour retourner dans son corps (resté sur Terre), Joe fait la rencontre de 22, une âme qui, quant à elle, ne désire pas vivre une vie terrienne alors. Pour elle, le sens de l’existence est justement dénué de sens. Un accord est alors conclu entre nos deux protagonistes : trouver la « flamme de vie » de 22 (la dernière chose qui lui manque) pour obtenir son passe-droit pour la Terre et le donner à Joe. Ainsi, il pourra retourner dans son corps et 22, quant à elle, pourra rester tranquillement dans le Grand-Avant et vivre sa non-vie.


Les choses ne se passant pas exactement comme prévu (ça serait trop simple), ils se retrouvent propulsé sur Terre : 22 dans le corps de Joe et Joe … dans celui d’un chat. Comment 22 va réagir face à un monde qui l’effraie ? Est-ce que Joe pourra réaliser son rêve ? Vous le saurez si vous regardez le film … ou si vous lisez les paragraphes qui vont suivre, c’est à vous de voir.


Partons maintenant à la découverte des apprentissages que nous apportent les différents mondes du film


Les premières scènes du film se déroulent sur la Terre, puis dans le Grand-Après, et servent principalement à mettre en place et poser le contexte du film. On y découvre alors l’histoire et la vie actuelle de Joe ainsi que sa mort.


Le Grand-Avant


Le Grand-Avant est un lieu très coloré se trouvant entre le monde des vivants et le monde des morts et où l’on retrouve les Michels et les Âmes.


Les Michels, ces personnages faits de simples lignes (s’appelant tous Michels), se définissent eux-mêmes comme étant l’« assemblage de tous les champs quantiques de l’univers sous une forme accessible aux yeux humains ». Pour simplifier, ce sont tous les champs invisibles qui régissent l’univers, qui le composent et qui permettent d’établir l’équilibre de toute chose.



Les Âmes, quant à elles, sont représentées par des petites créatures toutes mignonnes et dépourvues des cinq sens. Il est donc sous-entendu ici qu’elles n’ont pas de forme physique à proprement parler mais qu’il faut bien leur en donner une pour les besoins du film d’animation (vous imaginez un film composé d’une multitude de personnages que l’on ne voit même pas… ça serait très bizarre).



« Soul » fait donc ici la distinction entre la notion d’âme et la notion de corps. Et cela peut faire penser au dualisme Cartésien qui sous-entend qu’âme et corps sont deux entités différentes.

Ce n’est pas chose aisée que de parler de la notion de l’âme et d’en avoir une définition universelle.

Quand on remonte un peu dans le temps du coté des philosophes grecques de l’antiquité, et plus particulièrement Platon, on apprend que l’âme est « un mouvement qui se meut soi-même ». C’est-à-dire que c’est ce qui fait que la vie est la vie et que les êtres sont des êtres vivants.

Étymologiquement, « l’âme » vient du latin « anima » qui désigne le souffle/le vent. Ce serait grâce à elle que la vie est ce qu’elle est. En effet, l’âme permettrait de faire la distinction entre le vivant et le non vivant (quelque chose qui n’est pas vivant est dit « inanimé » : sans âme), entre les êtres pensants et les non pensants puisque celle-ci permettrait la réflexion. Ce qui renvoie donc à la notion de psychique pour les psychologues et les psychanalystes (une pensée étant un phénomène psychique). Certains voient également l’âme comme étant quelque chose d’immortelle. Pour eux les êtres vivants sont composés d’un corps qui se meurt (et cesse d’exister un jour), et d’une âme immortelle qui survit à la mort de ce corps physique (notion de réincarnation).


Certains philosophes comme Descartes ou encore Pascal pour ne citer qu’eux parlent de dualité (Dualisme cartésien) avec d’un côté le corps (matériel) et de l’autre l’âme (immatérielle). Pour eux le corps est tout simplement incapable de penser. Ils font donc de l’âme une substance à part entière et aussi réelle que le corps.

Alors que pour d’autres, comme Épicure ou encore Lucrèce, l’âme n’est ni immatérielle, ni immortelle. Elle serait une partie de notre corps.

Au regard de Soul, on comprend bien que les réalisateurs sont plutôt partis sur la définition de l’âme comme étant séparée du corps et donc ne faisant pas partie d’un tout. En revanche, il reste une part d’ombre ici puisque l’union et la sortie de l’âme de l’enveloppe physique humaine ne sont ni expliquées ni montrées. Se pose alors la question de la « glande pinéale » dont parlait Descartes. Mais ça, c’est une autre histoire.

Finalement cette notion peut être perçue comme une croyance puisque son existence n’a pas été véritablement prouvée et démontrée. On ne sait également pas si l’âme et le corps sont véritablement deux choses distinctes ou s’ils forment un tout unique.

Néanmoins, il existe tout un tas de littératures avec diverses visions de ce qu’est l’Âme, toutes aussi intéressantes les unes des autres. L’idéal étant de se faire son propre avis sur la question.


Pour revenir au Grand-Avant, c’est ici que les Âmes reçoivent leur personnalité avant de pouvoir se plonger dans le grand bain du monde et d’aller vivre leur vie dans une enveloppe physique. Ce sont les Michels qui décident des différents traits de caractère de chacune des petites Âmes. Elles ne pourront cependant obtenir leur passe-droit pour la Terre que si elles ont leurs traits de personnalités (6 environ) et qu’elles ont trouvé leur « flamme de vie ».

La personnalité de chaque être vivant serait, selon « Soul », définie à l’avance avec nos traits de caractère et notre vocation déjà prédéfinie. Du moins c’est ce qu’ils nous font comprendre au début du film.

Mais qu’est-ce qu’une personnalité ? En psychologie, elle peut être vue comme étant « un ensemble des conduites et des comportements d’un individu avec des éléments stables (traits) comme ponctuels (états) ». C’est la personnalité qui fait que la personne a sa propre identité et sa propre singularité.

Ce qu’on entend par éléments stables, ou traits de personnalités, c’est tout simplement des capacités psychologiques que l’on a tous mais pas au même niveau (par exemple : l’anxiété, la suggestibilité). Quant aux éléments ponctuels, ou états, ce sont des réactions ponctuelles face à certaines situations (par exemple : on peut être une personne avec un faible degré d’anxiété, mais face à une situation bien particulière, on peut se sentir anxieux = anxiété état).

Hors ce sont nos apprentissages qui forgent notre singularité et nos différences de personnalités. En d’autres mots, qui font de nous qui nous sommes. Nos expériences de vie nous construisent, et ceux depuis notre plus tendre enfance, lors de nos différents stades d’évolution, jusqu’à maintenant.

Si l’on suit le début du film, il n’y aurait donc pas de place au changement ? Tout serait prédéfini ?

Dans le Grand-Avant, une Âme, pour pouvoir aller sur Terre et vivre sa vie, ne doit pas uniquement se faire octroyer sa personnalité. Elle doit aussi trouver sa « flamme de vie » : ce qui l’anime, sa mission de vie, sa raison de vivre, ce pour quoi elle est destinée, sa vocation … peu importe finalement les mots empruntés. Ici, la raison de vivre de Joe, sa vocation, est d’être pianiste de Jazz … du moins c’est ce qu’il pensait. Et c’est autour de cette question de « flamme de vie » que tourne l’histoire de 22, et finalement le film en lui-même.

22, cette petite âme avec sa personnalité bien à elle et bien trempée, n’a jamais trouvé sa propre « flamme de vie ». Ce n’est pas faute d’avoir eu tout un tas de mentors obstinés à la lui trouver (d’ailleurs les clins d’œil sur différents personnages historiques sont bourrés d’humour) et qu’elle a tous épuisés un à un. Avoir Joe comme mentor l’interpelle, elle ne comprend pas pourquoi, après avoir visité le musée de vie de Joe et avoir vu une vie aussi misérable que la sienne, ce dernier désire plus que tout retourner sur Terre.

Et finalement, est-ce que ce sont les autres qui doivent nous trouver notre flamme ?

Plus on avance dans le film, plus on commence à comprendre que cette notion de flamme n’est pas si simple et si figée que ça.

Ce n’est que plus tard dans le film que Joe prend conscience que cette « flamme de vie » n’est pas du tout ce à quoi il s’était imaginé. « Une flamme, ce n’est pas une vocation pour une Âme. Ah les mentors ! Tous les mêmes avec vos passions, vos obsessions … Vous voulez à tout prix que la vie ait un sens, c’est d’un primaire ! » (Un des Michels)

Ce qui finalement montre bien que tout peut se modifier, qu’il n’y a pas qu’une seule chose qui régit notre vie.

Joe se rend compte à la fin que notre flamme à nous : c’est de vivre. Ce qui veut dire que pour obtenir leur passe-droit pour la Terre, les Âmes doivent tout simplement être prêtes à vivre. Alors oui, vivre avec peut-être certains traits de personnalités de base, mais qui peuvent être amenés à se modifier en fonction des expériences que nous apporte la vie.

Si nous sommes aujourd’hui en vie sur cette Terre, c’est que nous sommes prêts à vivre.


La « zone »


La « zone » est un lieu se trouvant dans le Grand Avant à mi-chemin entre le monde physique et le monde spirituel. C’est ici que nous retrouvons les âmes égarées ainsi que les personnes terriennes en état de transe, de « flow », de conscience modifié.


Qu’est-ce que l’état de Flow ou l’état de Transe ? C’est un état d’hyperconscience, d’hyperconcentration. Je suis quasiment sûre que vous avez déjà connu cet état. Vous savez, ces moments où vous êtes complètement absorbé par ce que vous êtes en train de faire. Vous ne faites attention à plus rien d’autre autour de vous, plus rien n’a d’importance à ce moment-là. Même la notion de temps y est modifiée. Ce qui peut vous amener à vous sentir bien et accomplie.

C’est ce qu‘on appelle aussi un état de conscience modifié. Dans ces moments-là nous ne sommes plus sur les mêmes ondes cérébrales.

Notre cerveau ayant une activité dite électrochimique, il est donc en capacité d’émettre différents types d’onde cérébrale. Elles sont au nombre de cinq (Delta, Thêta, Alpha, Bêta et Gamma) et chacune va être activée en fonction de nos états mentaux ainsi que de nos diverses activités et pensées.

Quand nous nous mettons en état de conscience modifié ou que nous nous plongeons dans notre activité, nous passons des ondes Bêta (veille) aux ondes Thêta (état de profonde relaxation/méditation) en passant par les ondes Alpha (état de veille mais détendu). Les ondes Thêta nous permettent donc d’accéder à notre subconscient, à notre créativité, etc.


C’est ce que vit Joe quand il se met à jouer du piano, un artiste quand il peint, un écrivain quand il écrit, un sportif quand il pratique, un méditant quand il médite, etc. Ils transcendent tout simplement et sont en totale fusion avec l’activité, dévoués à elle à un moment donné.

Mais attention, avoir une passion c’est bien, mais quand on ne se focalise uniquement que sur une chose, cela peut vite devenir une obsession. Quand la passion se transforme en obsession, alors la notion de plaisir disparaît et on en vient à s’oublier totalement. On devient donc une Âme égarée dans la zone.

Ces Âmes sont toutes ces personnes sur Terre qui se sont oubliées à travers une chose en particulier (une passion, le travail, une pensée, etc.) et qui ne retrouvent plus le chemin vers l’essence même de ce qu’ils sont.

« Soul » nous rappelle que pour se retrouver, il suffit de se reconnecter à nous-même, notre corps, nos cinq sens. Très souvent le corps est là, il est notre meilleur ami et allié mais on en vient à ne plus l’écouter… jusqu’au jour où il arrête de nous supporter.

On devient une âme égarée quand on s’oublie, quand on laisse les personnes rentrer dans notre espace intime avec les critiques qui nous envahissent et qui deviennent notre vérité.

Retourner au corps, à nos sensations, à nos cinq sens, nous permet de nous connaitre davantage. La connaissance de soi passe avant tout par la connaissance de son corps.

Il existe tout un tas de méthodes, d’activités qui nous ramènent à nous-même comme la relaxation, la sophrologie, la méditation, le yoga, le sport, le dessin, etc. Et il n’y a pas une méthode meilleure que les autres, il y a juste une méthode qui vous convient à vous.


La Terre


Ah, la Terre … Il y aurait tellement de choses à dire ici. Mais je ne vais m’attarder que sur LA leçon principale (pour moi) que nous apprend ce lieu et ce film finalement : de profiter de toutes les choses simples de la vie, de vivre l’instant présent.

Le présent est si souvent oublié au profit du passé et du futur. À l’heure d’aujourd’hui, nous, êtres humains, passons notre temps et notre énergie à rester dans le passé ou à aller vers le futur en oubliant finalement la chose essentielle et surtout la seule chose réelle. Pourquoi je dis réelle ? Tout simplement parce que le passé nous a construit certes, mais n’existe plus tandis que le futur, lui, n’existe pas encore. Le présent est la seule chose qui existe concrètement.

Beaucoup de personnes cherchent à arranger le passé (et cela peut être très bien), cherchent à aller mieux demain … et aujourd’hui alors ? On ne sait pas de quoi sera fait demain, alors autant se sentir bien dès maintenant … pourquoi attendre ?


« Soul » apporte une vision plutôt phénoménologique des choses.

Phéno-quoi ? Étymologiquement, le terme « phénoménologie » vient du grec « phainomenon » qui signifie « ce qui apparaît » et « logos » qui veut dire « étude ». Elle est donc l’étude des phénomènes qui nous apparaissent à notre conscience (sensations du corps, sentiments, émotions, etc.) : la rencontre entre soi-même et le monde.

La phénoménologie existentielle (qui renvoie donc aussi à l’existentialisme où chaque personne est vue comme un être à part entière, maître de sa vie et décidant de ses propres valeurs) est un courant philosophique (Husserl) qui nous invite à revenir à qui nous sommes réellement au plus profond de nous ainsi qu’aux choses elles-mêmes. C’est-à-dire à les apprécier et les accueillir telles qu’elles sont en suspendant tous jugements. Essayer tout simplement de voir la vie à travers les yeux d’un enfant.

Heidegger (philosophe) a dit : « je ne peux exister que si je vis l’instant ». Et c’est exactement ce que nous montre « Soul ». Joe ne vivait pas l’instant présent, il était obnubilé par la réalisation de son rêve, par le Jazz et donc était bloqué dans le passé ou dans le futur. Il ne vivait pas sa propre vie, il courait même après sans regarder où il posait les pieds … et c’est ce qui a causé sa perte finalement (puisqu’il est tombé dans une bouche d’égout ouverte). Il en oubliait toutes les choses essentielles comme sa famille, ses élèves, ses ami(e)s, son amour, la nature, la nourriture etc. En bref, tout ce que la vie a de plus précieux à nous donner.

« Soul » vient questionner tout un tas de choses concernant l’existence de l’Âme, de notre personnalité et de notre vocation prédéfinie (ou pas), de notre passion pouvant basculer vers l’obsession, etc. Il nous amène à ouvrir notre esprit à d’autres choses, à nous remettre en question. Cependant, le fond de ce film d’animation peut être un peu compliqué à comprendre par un enfant. Aussi il pourrait être pertinent, après l’avoir vu, de prendre un temps pour en discuter tous ensemble (petits et grands).

S’il y a bien une chose dont je suis sûre, et que « Soul » confirme, c’est que nous avons tous une unique « flamme de vie », une seule mission de vie. Et celle-ci est commune à tous les êtres humains. Notre « vocation » à nous est de vivre notre vie : la vivre de la meilleure des façons pour nous et de la vivre maintenant.


Finalement c’est celle qui ne voulait pas vivre (22) qui nous fait la plus belle leçon de vie.

Alors, arrêtez-vous un instant, revenez aux sensations de votre corps et activez vos cinq sens : écoutez, regardez, touchez, goutez, sentez tout ce qu’il y a autour de vous … et vivez cet instant comme pour la première fois.

N’oubliez pas de regarder de temps en temps où vous mettez les pieds, histoire de ne pas tomber dans une bouche d’égout et de ne pas passer à côté de votre vie !


– Qu’est-ce que vous allez faire de votre vie ? Michel

– Je ne sais pas encore, mais ce qui est sûr, c’est que je vais en savourer chaque minute ! Joe