« Attention, le jeûne c’est dangereux !
-Tu sais, ton corps va s’en souvenir, il risque de stocker pour le futur…
-Attention, tu vas stresser ton organisme !
-Jeûner ? Fais quand même attention à ne pas devenir anorexique !
-Tu vas avoir faim ! Tiens, ressers-toi ! » (devise ultime de ma grand-mère)

Cet article a été écrit par Estelle, bientôt blogueuse officielle à Psycogitatio.fr. Retrouvez sa bio à la toute fin de son super article!

Le jeûne, une nouvelle thérapie ? – documentaire diffusé sur ARTE et réalisé par Thierry de Lestrade et Sylvie Gilman (2011). Disponible au complet sur Youtube jusqu’au 6 mars 2019.

Tout le monde jeûne ! Même vous ! Lorsque vous allez vous couchez le soir, vous passez (si tout va bien) un minimum de 6 heures sans vous alimentez ce qui entraîne une courte mise au repos de vos intestins. Autrement dit, vous jeûnez. D’ailleurs, le petit-déjeuner ou le déjeuner sont des illustrations parfaites car il s’agit bien ici de rompre le jeûne, de « dé-jeûner ». Personnellement, je n’avais jamais fait le rapprochement…


Petite introduction

Autrefois partie intégrante de nos routines alimentaires notamment à travers la pratique religieuse du carême durant laquelle les croyants jeûnaient pendant 40 jours ou encore par le fameux « vendredi c’est poisson ! » (moins drastique je vous l’accorde) qui renvoie à l’idée de manger « maigre » à savoir sans viande ni nourriture grasse, le jeûne est une habitude qui a fini par totalement disparaître de nos cultures occidentales. Encensé ou détracté, il semble aujourd’hui avoir plutôt mauvaise réputation. Nous avons tellement l’habitude de manger jusqu’à trois voire quatre fois par jour en quantité plus que suffisante que la privation de nourriture peut nous paraître impossible, inutile voire dangereuse.


L’intestin, un deuxième cerveau

Récemment, de très nombreuses études ont pu démontrer l’importance, jusque-ici sous-estimée, du rôle de notre intestin. Organe peu glamour et trompettiste à ses heures, il s’avère en réalité être l’équivalent d’un deuxième cerveau où se retrouveraient joyeusement entre 100 et 200 millions de neurones et plus de 100 000 milliards de bactéries qui influenceraient nos émotions et notre personnalité. Encore plus intéressant, l’intestin pourrait être un lieu de neurogenèse après l’hippocampe et serait le siège de la production d’environ 95% de la sérotonine. Tiens, tiens, tiens… la sérotonine ça vous parle ?! Hé oui, c’est la fameuse hormone du bonheur… Pour plus d’informations, je vous invite à regarder le documentaire « Le ventre, notre deuxième cerveau » réalisé par Cécile Denjean (2013, diffusé sur ARTE).

Une attention toute particulière serait alors à apporter à nos intestins. Tout ceci nous ramène à notre histoire de jeûne et peut avoir contribué à sa réapparition.


Un retour à la pratique du jeûne

Il est en effet aujourd’hui possible d’entendre parler de jeûne un peu partout de manière vulgarisée sur de nombreuses chaines Youtube ou blogs « d’influenceurs » bien-être, life-style, healthy (appelez cela comme vous voulez !) qui pratiquent par exemple le « jeûne intermittent », mais également via de nombreux ouvrages (1) ou émissions de radio/podcast (2) qui traitent de la question en profondeur.

Plus sérieusement, de nombreuses cliniques et hôpitaux en Allemagne, en Suisse, aux États-Unis, au Canada ou en Russie proposent aujourd’hui une prise en charge thérapeutique par le jeûne. En Allemagne, cette thérapie est d’ailleurs remboursée par la Sécurité Sociale. Si en France, il existe de nombreux centres de cure dédiés au jeûne, l’ouverture à ce mode de prise en charge semble rester encore timide.

Voilà qui donne un sacré intérêt à ce documentaire ARTE qui aborde de manière très documentée le sujet du jeûne, à savoir l’arrêt total de l’alimentation sur une période plus ou moins longue (pouvant aller de quelques heures à plusieurs semaines), au travers de ses impacts thérapeutiques notamment sur la santé mentale, ce qui bien sûr, va ici beaucoup nous intéresser !


Fonctionnement du jeûne

Alors je ne suis pas experte en la matière mais le documentaire explique très bien l’impact bénéfique que pourrait avoir le jeûne sur l’organisme. D’une façon simplifiée, il semblerait que ce soit l’adaptation de l’organisme au stress engendré par la privation de nourriture qui soit bénéfique et entraînerait une stimulation des fonctions curatives du corps.

De plus, le jeûne aurait un effet régulateur des taux de glycémie, de cholestérol, de triglycérides et d’insuline entraînant ainsi une réduction des symptômes chez les patients atteints de diabète, de maladies cardio-vasculaires, de maladies chroniques de type inflammatoires etc.

Cet effet régulateur agirait également sur plusieurs hormones très intéressantes dans la régulation de l’humeur comme l’adrénaline, la noradrénaline, la dopamine, la leptine et la fameuse hormone si présente dans notre ventre : la sérotonine ! Celle-ci augmenterait sous l’effet du jeûne et entraînerait donc une amélioration de l’humeur des patients.

Enfin, trois effets seraient également observés : un effet stimulant pendant la période de jeûne, un effet sédatif après ce qui est appelé « la crise d’acidose » et un effet antidépresseur au moment de la réalimentation.

Si le jeûne semble avoir un impact positif sur plusieurs maladies somatiques chroniques, il semble également en lien avec une régulation, et a fortiori, une amélioration de l’humeur… alors pourquoi ne pas se poser la question concernant la psychiatrie d’une façon plus générale ?

Jeûne et cerveau


Quelques études


Jeûne et neurogenèse

L’équipe de la neuroscientifique Sandrine Thuret s’est penchée sur le sujet de l’impact du jeûne sur le processus de neurogenèse3, à savoir la création de nouveaux neurones. Il y a peu, les scientifiques estimaient que ce processus disparaissait à partir d’un certain âge. En réalité, il diminue, mais ne s’arrête jamais.

Sandrine Thuret présente des résultats (sur modèle animal) qui établissent un lien entre l’alimentation et la neurogenèse en ce qu’une limitation de 20% à 30% de notre apport calorique augmenterait la neurogenèse, de même qu’un espacement de nos repas (ou jeûne intermittent). Elle explique également que la neurogenèse aurait un impact positif sur l’humeur (notamment dépressive) et sur la mémoire.

Encore plus intéressant !


Jeûne et maladies neurodégénératives

A fortiori, notre alimentation pourrait donc être directement liée à notre neurogenèse et par lien de cause à effet, à certaines maladies neurodégénératives comme celles d’Alzheimer ou de Parkinson.

Selon le Dr. Mark Mattson, chef du laboratoire de neurosciences du National Institute on Aging et professeur à l’université Johns Hopkins (vous pouvez trouver beaucoup de ses articles de recherche en anglais ainsi qu’un TEDx4), jeûner déclenche une augmentation de l’activité neuronale dans le cerveau, augmentation liée à un réflexe adaptatif qui consiste à trouver une solution pour se nourrir lorsque l’on a faim. Ainsi, jeûner reviendrait à « challenger » son cerveau (un peu comme le sudoku quoi !).

Le Dr. Mattson explique également que jeûner entraînerait une stimulation de la production de cétones – Késako ? Les cétones sont des molécules faisant partie de la famille des carbonylés généralement créées par l’action de brûler des graisses, ce qui survient lorsque l’on jeûne. Elles sont ainsi une source d’énergie pour nos neurones – ils ont donc plus à se mettre sous la dent quoi !

De même, jeûner permettrait d’accroître le taux de mitochondries dans les neurones, leur permettant d’augmenter leur capacité à former et maintenir de nouvelles synapses, et donc de nouvelles connexions, pour une plus grande flexibilité neuronale.

Tout ceci pourrait entraîner une diminution de l’apparition de maladies telles qu’Alzheimer en ce que le jeûne permettrait, en quelque sorte, « d’entretenir » notre cerveau plus longuement. Plus de recherches sont certes nécessaires mais les résultats sont prometteurs !

Une application possible en psychiatrie ?

Si un impact positif du jeûne sur certains troubles de l’humeur comme la dépression ainsi que sur certaines maladies neurodégénératives a pu être observé, il est très difficile de trouver des recherches récentes au sujet de l’impact sur d’autres maladies psychiatriques.

Une expérience menée à Moscou dans les années 60 par le médecin psychiatre Yuri Nikolaev est particulièrement mise en lumière dans le documentaire. Face à un patient prostré, mutique et refusant de s’alimenter le Dr. Nikolaev décide de lui laisser la possibilité de ne plus se nourrir. Il aurait rapidement observé une diminution des symptômes, un retour progressif à la vie sociale jusqu’au rétablissement du patient en l’espace de quelques jours seulement.

Suite à ce cas, il met alors en place un protocole expérimental et prend en charge des patients diagnostiqués schizophrènes, dépressifs, phobiques ou encore obsessionnels sur une durée moyenne de 25 à 30 jours de jeûne. Il observe un impact largement thérapeutique sur 70% de ses patients, aussi bien sur leur maladie mentale que sur leurs troubles somatiques.

Il fait alors face à de très nombreuses critiques. Il est vrai qu’il est difficile d’imaginer pouvoir guérir ou soigner quelqu’un qui a faim et qui, en toute logique, devrait manquer de force et d’énergie pour combattre les symptômes. Et pourtant… Observez un animal malade, il ne mangera pas…

Il reste encore beaucoup de résultats à obtenir et pas mal d’obstacles à surmonter (comme les lobbies alimentaires ou pharmaceutiques) avant de pouvoir penser à intégrer le jeûne dans une prise en charge globale des patients. Cependant, les résultats déjà obtenus paraissent encourageants et nous permettent surtout d’ouvrir notre réflexion sur d’autres méthodes thérapeutiques.

« Le jeûne est au corps ce que la méditation est à l’esprit » Christophe André, psychiatre et psychothérapeute.


Pour aller plus loin …

1) Exemple d’ouvrage : Et si je mettais mes intestins au repos de Thomas Uhl qui travaille avec Christophe André

2) Exemple de Podcast : Grand bien vous fasse ! sur France Inter

3) Le TEDx de Dr. Mark Mattson dans un anglais très simple pour ceux qui se sentent, sinon il est sous-titré en français 

4) Lien Youtube vers le TEDx de Dr. Mark Mattson en anglais



Mais qui est Estelle?

Je suis toute jeune psychologue diplômée en 2018 de l’EPP Lyon et je vis actuellement en Autriche, à Innsbruck, pour quelques mois de découvertes et un bon bol d’air frais avant de commencer à exercer mon métier. Je suis une passionnée de voyages et de Nature. J’adore partir à l’aventure, découvrir de nouveaux paysages et de nouvelles cultures ! J’ai d’ailleurs vécu toute ma scolarité (jusqu’à mes 18 ans) en Afrique avec mes parents (au Bénin, au Tchad, au Niger et au Cameroun) et j’ai désormais l’envie de m’expatrier à mon tour ! J’aimerais tout particulièrement exercer en libéral (en présentiel et en ligne) à l’étranger pour allier mes voyages à mon travail tout en aidant les personnes francophones en situation d’expatriation à trouver une écoute dans leur langue maternelle. Je suis donc très intéressée par la question de l’expatriation et de la migration, par la psychopathologie, par de nouvelles méthodes thérapeutiques qui seraient davantage holistiques, par la recherche et par toutes les problématiques découlant de notre société actuelle (stress, manque de lien/de relations interpersonnelles, perte de sens ou de spiritualité etc.).