Psychiatre et cofondateur d’Utopsy, Mathieu Bellahsen suit au quotidien les malades d’un secteur de la banlieue parisienne. Fort de cette pratique, il étudie l’évolution du concept de santé mentale en décryptant les textes de l’Organisation mondiale de la santé, de l’Europe ou du Centre d’analyse stratégique (service dépendant du premier ministre). Il permet ainsi de saisir combien l’intention humaniste du milieu du XIXe siècle s’est muée, au début du XXe siècle et sous un vocabulaire positif, en norme impérative des comportements.

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Dans son ouvrage et dans une interview de La boite à Idée, Mathieu Bellahsen explique comment la promotion de la santé mentale comme priorité publique fait tomber ce domaine dans le registre économique. Ce glissement dans la langue et dans les concepts fait de la psychiatrie un outils de contrôle du néolibéralisme: ainsi une bonne santé permet de maximiser et faire fructifier le capital santé; et cette santé est redéfinie positivement à travers de mots tels que le bien être, le bonheur, la qualité de vie qui engendre la productivité et la croissance.

La santé mentale revêt alors une nouvelle définition: être en bonne santé mentale, c’est s’adapter à une situation à laquelle on ne peut rien changer; elle devient donc un opérateur d’adaptation aux normes de la société néo-libérale. Ainsi, il déplie les effets des accréditations, des protocoles, des évaluations ou auto-évaluations exigeant la création d’indicateurs quantitatifs, des bonnes pratiques qui deviennent des injonctions, etc. « Les normes et les commandements tentent de s’imposer par différentes voies: administratives, bureaucratique, étatique mais également surmoïque. » (p 124)
Ces exigences créent des dispositifs rigides ne permettant plus s’adapter aux personnes accueillies, mettant hors norme (voire hors la loi) la singularité de chaque patient et prohibant l’expérience existentielle et tragique humaine dont on devient phobique.

Pour résister à cette logique, Mathieu Bellahsen développe l’idée d’une praxis institutante permettant de créer collectivement – au niveau macro et micro-politique – des formes de vie vivante et créative. Il parle ainsi des clubs thérapeutiques, de la psychothérapie institutionnelle ou encore de l’humour : « Dans un service de psychiatrie, où la souffrance psychique le dispute bien souvent à la misère, la tendance générale est d’être empreint d’une certaine gravité. Que rien ne soit drôle ne signifie pas que l’humour soit impossible. Créer les conditions de possibilité pour qu’une dimension humoristique et poétique émerge, ce que Tosquelles appelle « la déconniatrie », nécessite d’instituer un certain degré de partage de la vie quotidienne, au travers de groupes, de réunions, de déambulations dans les couloirs sans but précis, nécessite également d’accepter de se déprendre de sa propre image. (…) Si ce travail n’est pas possible, l’humour se transformera en ironie, en cynisme, en cruauté. On rira des personnes plutôt que de rire avec elles. » (p. 127)

Pour se procurer le livre des éditions La Fabrique