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Suite à l’article que nous avons publié sur le documentaire « Ce qu’il reste de la folie » de Joris Lachaise, nous avons eu la chance de recueillir l’expérience de Graziella De Backer qui a pu travaillé en tant qu’aide-soignante durant un mois – notamment dans l’hôpital psychiatrique de Thiaroye – au Sénégal dans le cadre de l’ONG « Visa Santé » en 2000. Elle nous raconte les souvenirs de son séjour. 

Comment s’est formée ton envie de partir exercer au Sénégal? 

Il faut remonter en 1980 pour comprendre un peu mon attrait pour le continent africain. Inexorablement attirée par l’Afrique depuis mon plus jeune âge, j’ai appris à lire avec Macoco, petit enfant noir dans un manuel de lecture « Le voyage de Macoco », je regardais souvent des reportages retraçant la vie, les us et coutumes des habitants des contrées lointaines et notamment africaines….Plus tard, je me disais même « un jour j’aurais un bébé noir !!! » ….

Bref, la vie en a voulu autrement mais cette attirance restait bien encrée ! J’ai passé un diplôme d’aide-soignante en 1997 et 3 ans plus tard je menais mon projet de voyage à terme. Seulement je ne voulais pas faire du tourisme traditionnel. Je voulais aller à la rencontre de la population locale loin des structures hôtelières et du tourisme de masse….J’étais à l’époque aide-soignante alors pourquoi ne pas proposer mes compétences professionnelles dans le cadre d’une mission humanitaire ?

Comment s’organise un tel voyage? Comment trouver sa place au sein des ONG?

C’est lors d’une conversation avec un ami gynécologue Béninois ayant fait ses études à Dakar que je découvris « Visa Santé » ONG implantée au Sénégal dont mon ami était membre actif. Cette dernière organisait entre autre des stages optionnels pour les étudiantes infirmières de deuxième année…Quel hasard me direz vous !! L’idée de partir grandit au fur et à mesure des informations récoltées auprès de la dite ONG. J’ai alors sauté le pas et organisé mon projet prévoyant un départ en Novembre 2000 pour une durée d’un mois….effectivement, partant sur mon temps personnel, je ne pouvais bénéficier d’une plus grande période de congés.

Une fois toutes les démarches administratives, financières et matérielles terminées, « Visa Santé » m’a proposé un poste à l’hôpital psychiatrique de Thiaroye….j’ai immédiatement adhéré et accepté cette proposition puisque je travaillais en France dans un hôpital psychiatrique !!! Cette perspective d’aller découvrir ma spécialité au Sénégal « m’emballait » vraiment !! Cela constituerait un enrichissement à la fois personnel et professionnel. Je pouvais alors me réjouir de découvrir ce pays de l’intérieur ! Je touchais du bout des doigts mon rêve de petite fille….

« Visa santé » avait pour mission l’accompagnement des élèves infirmières pour leur stage optionnel de 2ème année, ils accueillaient aussi des personnes comme moi menant un projet personnel (dans le domaine de la santé, de l’éducation…). Lors de nos discussions, Vincent le responsable de l’époque, m’expliquait que l’idée était surtout d’apporter des compétences professionnelles dans différents domaines comme la couture, la cuisine afin que les jeunes filles du centre ( le centre de formation d’éducation étant dans la même enceinte que l’HP) puissent avec leurs ressources locales confectionner des vêtements, des sacs ou bien faire des gâteaux, des plats qu’elles pourraient vendre sur le marché….L’idée était vraiment d’apporter ces compétences afin que la population puisse être autonome et s’auto-gérer par la suite

Vint enfin le temps du départ. C’était mon premier voyage, j’avais hâte de découvrir cette destination tant désirée.

Quelles ont été tes premières impressions à ton arrivée à Dakar? 

Arrivée un samedi à l’aéroport de Dakar, je fus accueillie par les membres de l’association sur place : Vincent directeur de l’époque de l’antenne de Dakar et Amadou qui serait « responsable » de ma sécurité durant mon séjour. Après les modalités d’arrivées, direction le local de « Visa santé » situé à Thiaroye Azur quartier « résidentiel » de Dakar où vivaient à l’époque de nombreux instituteurs/institutrices….

Il était prévu que je puisse m’acclimater à mon nouvel environnement pendant le week-end, ainsi je pouvais commencer à l’hôpital psy dès le lundi. Amadou me fit découvrir le quartier et le trajet jusqu’à l’hôpital qui se trouvait à une quinzaine de minutes à pied du local. Il était situé dans l’enceinte d’un complexe accueillant également une école et/ou un centre de formation pour jeunes filles (je ne me souviens plus exactement !!).

Comment s’est passée ton travail à l’hôpital psychiatrique de Thiaroye? Quelle place as-tu pu prendre lors de ce séjour?

Lundi matin, réveillée très tôt par la chaleur et par les prières provenant du minaret situé non loin du local, je me préparais pour ma première journée à l’hôpital non sans une légère appréhension mais surtout avec une certaine excitation ! Amadou m’accompagnait pour ce premier jour afin de me présenter le médecin chef de la division dans laquelle je devais travailler.

A notre arrivée, alors que nous attendions le médecin, quelqu’un nous annonçât que ce dernier était absent puisqu’il était en conférence à l’hôpital universitaire de Dakar….cette personne m’invitât à revenir le lendemain…ce que je fis. Malheureusement, le médecin étant de nouveau absent, je dus revenir mercredi matin…

L’expérience commençât réellement ce mercredi ! Accueillie par le médecin chef, celui-ci s’excusa de son absence des deux premiers jours puis me fit visiter l’hôpital en m’expliquant son fonctionnement, son organisation…Il me présentât ensuite la « division » dans laquelle je devrais travailler, la division numéro une. Me semble-t-il qu’il y en avait 4 réparties dans différents bâtiments. Les souvenirs me manquent quant à la répartition des patients dans les différentes divisions (était-ce sectorisé comme en France ????)

Je me souviens de ces bâtiments hauts de plafond constitués d’un couloir qui desservait différentes salles dans lesquelles étaient installés plusieurs matelas au sol destinés à recevoir les patients mais également les « accompagnants »

Effectivement, le documentaire « ce qu’il reste de la folie » aborde le rôle de ces accompagnants, et la confusion que cela peut parfois provoquer. Qu’as-tu pensé de cette place particulière de l’accompagnant? 

En effet, ce que j’ignorais avant de venir au Sénégal, c’est que la condition sine qua non pour qu’un patient soit hospitalisé est qu’il doit être accompagné H24 par un membre de sa famille ou ami. Etant extérieur à l’équipe soignante,  il était impossible pour moi de distinguer le patient de l’accompagnant ! C’était assez troublant et déstabilisant…. Ce dernier doit assurer les besoins primaires du patient à savoir l’hygiène, l’alimentation, l’habillage…il y avait même, près de certains lits, des braséros utilisés pour cuisiner !

Tout ce qui se référait à mon rôle d’aide-soignante en France était accompli par l’accompagnant. Je me demandais alors quelles pourraient bien être ma place et mon aide à l’hôpital….D’autant plus que les aides-soignantes sénégalaises avaient le droit d’administrer les traitements, de faire les injections, les pansements …etc., ce qui constituait en France un dépassement de tâche. J’appris également que les infirmières avaient, elles, le droit de prescrire certains médicaments… En fait, les rôles étaient décalés par rapport à notre système hiérarchique français.

J’ai beaucoup apprécié leur système d’accompagnant qui certes est une contrainte mais qui constitue un élément tellement important dans la prise en charge des patients ; je veux parler de ce lien familial indispensable qui malheureusement se perd chez « nous ». Je me rappelle m’être fait cette réflexion à l’époque : « L’idéal serait un mix entre nos deux pays à savoir nos moyens techniques et leur système d’accompagnant, leur humanité dans la prise en charge… »

Peux – tu nous expliquer quel était le rôle des soignants et comment leur répartition s’organisait? 

Concernant le déroulement d’une journée de travail, les aides-soignantes et infirmières passaient dans les chambrées afin de prodiguer certains soins et d’administrer les traitements. Quelle fut ma surprise quand je vis qu’elles avaient en guise d’ordonnance « institutionnelles » une grande ardoise sur laquelle figurait un tableau indiquant les noms des patients et leurs traitements respectifs…Et ce n’est pas tout ! J’ai eu l’occasion d’assister à une évacuation d’un globe vésical effectuée sans l’asepsie requise pour ce genre d’intervention en France…D’une manière générale, les moyens matériels étaient très restreints comme par exemple des contentions usées posées à même la peau des patients, ce qui les blessait au niveau des chevilles et des poignets. L’équipe m’expliquait qu’ils n’avaient malheureusement pas assez de moyens pour avoir du matériel adapté.

Je me souviens aussi que dans cette division, les patients pouvaient bénéficier d’une assistante sociale.

J’ai pu assister à des entretiens médicaux durant lesquels je pouvais observer les comportements spécifiques liés à certaines pathologies. Les patients accueillis souffraient majoritairement de schizophrénie (souvent conséquente à une consommation de cannabis importante aux dires du médecin), de troubles du comportement, d’hystérie…. Certains traitements étaient identiques à ceux utilisés en France d’après mes souvenirs. Seulement, à l’époque je n’avais pas assez de connaissances en psychopathologie et en pharmacologie….alors, entre ce manque de savoir, de savoir faire, cette barrière culturelle et linguistique (les entretiens se faisaient souvent en wolof) non négligeable, je n’ai pas vraiment trouvé ma place. Pourtant j’avais été accueillie chaleureusement, avec cette générosité, cette gentillesse et cette hospitalité caractéristique des sénégalais : la « téranga » comme ils disent ! Je me souviens d’un repas pris avec toute l’équipe soignante durant lequel elles m’expliquaient leurs habitudes culinaires, m’apprenaient à manger avec mes doigts en formant des boules de riz collant…..Que de souvenirs !! Ah oui et cette fois où les «filles» se reposaient dans la salle de soins, toutes assises sur le lit d’examen lisant le journal, papotant, riant aux éclats puis me proposant de me faire des tresses africaines alors que j’avais les cheveux coupés très court !!!! Quelle rigolade !!!! Vraiment je garderais un souvenir impérissable de cette expérience humaine unique, riche d’échanges, de partages, d’amitié, de spontanéité……et j’en passe !!

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Bureau infirmier

Dans le documentaire, il est beaucoup question de la place des tradi-thérapeutes dans les prises en charge, en marge du système psychiatrique. 

Je me souviens qu’ils me parlaient de la place importante des marabouts qui géraient la « folie » dans les villages. En tout cas, je sais que leurs croyances prennent une grande place dans leur regard sur le folie.

Comment as-tu vécu ces décalages avec le système que tu connaissais ?

Comme je le disais plus haut, n’ayant pas vraiment trouvé ma place cette première semaine et ne voyant pas vraiment comment pourrait évoluer ma contribution, j’ai décidé de quitter l’hôpital pour aller proposer mon aide dans un dispensaire à deux rues du local de « Visa Santé ». C’est alors que j’ai terminé mon séjour au sein de ce dispensaire dans lequel j’ai pu effectuer certains soins infirmiers (grande première pour moi !) comme des pansements, des injections…J’ai également pu suivre une infirmière pendant ses consultations, dans un dispensaire plus important du district. Ce fut une chouette expérience d’autant plus que je commençais à me sentir de plus en plus à l’aise aussi bien dans le domaine professionnel que dans le quotidien….

Que retires-tu de cette expérience ?

En résumé, j’ai vécu une aventure humaine formidable et enrichissante que je recommande vivement dès lors qu’on est curieux de découvrir d’autres cultures, d’autres façons de travailler et ici d’autres façons d’appréhender le monde de la maladie mentale.

Maintenant infirmière diplômée d’état exerçant toujours en psychiatrie, j’aimerais réitérer une expérience dans ce milieu qui me tient à cœur.

 

Je tiens à remercier Graziella pour son témoignage, ce travail d’écriture et le partage de quelques unes de ses photos avec Psycogitatio!