Peur de manquer – Nicole Fabre
J’ai eu la chance de participer aux deux conférences de Nicole Fabre en mars 2018 « Face à nos manques et à nos limites ». Après avoir lu J’aime pas me séparer, j’étais curieuse de découvrir l’auteure et le thème de son intervention. Son livre Peur de manquer a ainsi rejoint ma bibliothèque. C’est une réflexion appuyée par certains dires de patients qu’elle a suivis ainsi que sur son parcours personnel. J’apprécie la tournure philosophique et psychanalytique et cela nous embarque comme dans un roman, sur une barque où je suis le cours de l’eau, le fil de sa réflexion, tandis que la mienne se tisse également.
Dans son livre, elle interroge l’angoisse du manque et l’ensemble des stratégies que nous, humains, mettons en place pour combler cette sensation de manquer et apaiser notre angoisse ; notamment dans une société de surconsommation. Notre nature fait que nous sommes confrontés au « vide » : nous avons conscience de notre propre finitude, ce qui est déclencheur d’une angoisse fondamentale. Selon la psychanalyse, dès le départ, nous sommes confrontés à une séparation originelle : nous sortons du ventre de la mère pour respirer par notre propre souffle et continuer notre développement. Peut-être cherche-t-on sans arrêt à retrouver ce sentiment de félicité à être « un », cette sensation d’« être rempli », de ne manquer de rien?
Le sens de la vie, le temps qui passe, la peur (ou la fascination pour) du vide sont des sujets abordés dans ce livre. Des questions existentielles, que chacun de nous peut avoir.
« Pour avancer, il faut quitter. Mais quitter, c’est se séparer, c’est –du moins en apparence- perdre. Car il est rare que ce mouvement vers l’avant se fasse en emportant toutes choses avec soi. Je me souviens des questions qu’à six ans je me posais car ma famille quittait le lieu lointain où s’était déroulée ma petite enfance : où cacher mon chat que j’aimais pour le prendre avec moi sur le bateau qui nous ramènerait vers « la mère Patrie », comme disaient les coloniaux de ce temps-là ? Bien sûr, je n’ai pas pu emmener mon chat ! J’ai dû le quitter. Mais je ne l’ai pas oublié et je garde de ce qu’il fût pour moi une affection particulière pour les chats. Pourrais-je emporter mon beau grand livre de La Reine des Neiges que j’aimais tant – mon premier vrai-livre-à-moi ? Oui, on le mettrait dans une malle…Les années ont passé et j’ai encore ce beau livre ! Et ma poupée bien aimée aux boucles sombres ? Oui, elle serait avec moi dans la cabine. Mais d’autres déménagements m’ont séparée de la poupée. Et les petites amies ? Oui, on se reverrait… Mais on ne s’est jamais revues. Je n’ai jamais revu non plus la grande maison blanche. Je ne suis jamais retournée au pays de mon enfance…Mais j’ai gagné d’autres horizons, d’autres amis, d’autres expériences, d’autres lieux de vie. J’ai grandi ! J’ai comme on dit « pris de l’âge ». J’ai vieilli. Je continue à perdre et à quitter ou à être quittée. Je continue à découvrir ou à changer. A prendre et à apprendre. J’avance. J’avance en âge et en expérience. Le terme de cette avancée viendra. Pour une autre avancée ? Ou pour seulement signer le terme et rien d’autre ?
Rien d’autre ? Rien de plus ? Le vide ? L’absence et le néant ? Revoici la peur de manquer. Manque de ce que j’aime, de la vie, tout simplement. Même si je ne suis pas là pour le savoir ! Par avance, voici que je manque de ce qui me manquera un jour. Je manque de cela même dont, dans le même instant, je peux jouir. J’ai peur et je suis triste. » p.52-53