Médiation psychomotrice : l’exemple de l’IKEBANA
Chez Psycogitatio, on invite régulièrement sur le blog des psychologues pour parler de divers sujets en lien avec la psychologie comme par exemple ; les représentations du métier de psychologue, les techniques thérapeutiques comme l’ICV et même comment créer un groupe d’intervision …
Mais, on a tendance à oublier les autres professionnels qui gravitent autour de la prise en charge psychologique. Alors, pour réparer cet affront, l’équipe de Psycogitatio vous propose de découvrir l’article de Céline, future psychomotricienne…
Etudiante en reconversion à l’Institut de Rééducation Psychomotrice de Boulogne, elle a pour projet de rédiger un mémoire sur « la pratique de l’ikebana (art floral) et ses apports moteurs et psychologiques ».
Céline est d’ailleurs à la recherche de références et d’études scientifiques pour enrichir sa réflexion autour des végétaux, de la pratique de l’art floral et des bénéfices psychiques et moteurs qu’ils procurent. N’hésitez pas à venir échanger avec elle par email : [email protected]
Qu’est-ce que l’IKEBANA ?
L’Ikebana signifie « art de faire vivre les fleurs ». Cet art floral Japonais multiséculaire consiste à créer des bouquets très graphiques ressemblant à des paysages miniatures ou à de véritables sculptures vivantes. L’objectif n’est pas de devenir un expert en Ikebana, mais de se saisir de ce moyen pour aider au développement psychomoteur ou à la rééducation psychomotrice de nos patients. En effet, ces techniques peuvent être détournées et adaptées pour en faire une médiation accessible à presque tout âge, et être profitable pour de nombreux troubles psychiques et moteurs.
Contrairement aux compositions florales occidentales, l’Ikebana est un art minimaliste. Il se caractérise par un assemblage de végétaux simple et dépouillé.
Ce n’est pas la quantité de fleurs qui importe, mais plutôt la composition dans son ensemble qui est valorisée : vase, eau, fleurs, branches, cailloux… Le but n’est pas de remplir le contenant, car le vide et la pureté des lignes sont une des caractéristiques majeures de l’Ikebana.
D’une apparente simplicité, l’Ikebana répond en réalité à une série de règles complexes et de techniques codifiées. Mélange d’éléments naturels, de poésie et de symboles, cet art nécessite de longues années d’apprentissage pour être maitrisé. Cependant, pour la pratique en psychomotricité, quelques règles de base suffiront à créer une médiation riche et nouvelle pour nos patients.
Le rôle des végétaux et minéraux selon Françoise Dolto
L’influence des végétaux
Françoise Dolto explique que la vie végétale est un sujet peu abordé par la psychologie, mais pourtant fondamental dans le processus d’identité de l’être humain. En effet, l’enfant doit comprendre qu’il n’est ni un objet, ni un caillou, ni un végétal. Selon Dolto, le bébé est capable de s’exalter devant un végétal (branche de marronnier) et donne des preuves d’échange réel dès l’âge de 3 mois. Il en est de même pour les enfants souffrant d’un retard mental. Cet intérêt se poursuit, car les adultes aussi aiment se « mettre au vert » pour retrouver leur force vitale.
Françoise Dolto a également créé la poupée-fleur pour aider une jeune patiente souffrant d’anorexie mentale. Cette poupée a, par la suite, permis à de nombreux enfants souffrant du même trouble, de se réapproprier et d’aimer leur corps (en se réalimentant par exemple).
L’influence des minéraux
Ils s’opposent aux plantes dans le sens où ils possèdent « une valeur d’esthétique impérissable », une stabilité dans l’existence. Cette notion de stabilité inaltérable apparait chez l’enfant à partir de 3 ans, lorsqu’il commence à comprendre le périssable et l’impérissable. De nombreux enfants font ainsi des collections de cailloux, ou gardent des cailloux dans leur poche et les utilisent comme support de « pensées magiques ». L’intégration de pierres (ou cailloux dans les compositions), contraste avec la durée de vie éphémère des végétaux et permet d’aborder la notion de temporalité avec le patient.
L’Ikebana stimule les 5 sens
L’ikebana permet au patient d’explorer ses 5 sens. Le patient peut ainsi développer des canaux complets de perception sensorielle.
La vue
Le plaisir des couleurs et l’équilibre entre le contenant et les végétaux forment un ensemble visuellement harmonieux pour le patient. Ils font appel à la subjectivité de son propre sens esthétique.
L’ouïe
Faire couler de l’eau dans un vase, couper une tige, écraser des feuilles, faire craquer une branche sèche, sont autant des sonorités apaisantes et relaxantes pour les patients, car les bruits de la nature induisent un état de bien-être.
Le goût
Certains végétaux comestibles peuvent être intégrés dans les compositions florales (comme des champignons, des fleurs, des fruits et légumes). Le fait de choisir de manger ou non des parties comestibles permet au patient de choisir d’incorporer une partie de sa création !
L’odorat
Ce sens permet de voyager dans le temps. En effet, une odeur familière provoque en quelques secondes la réactivation des souvenirs d’enfance. La mémoire olfactive est intimement liée aux émotions, en raison de la proximité du cortex olfactif et du système limbique (impliqué dans le contrôle des émotions). Les fleurs, les branches, la mousse, les champignons ont tous une odeur spécifique qui permet un parcours olfactif à travers la création du patient. L’aspect olfactif est un élément important à développer pour des patients souffrant de troubles mnésiques consécutifs à un AVC ou à la maladie d’Alzheimer.
Le toucher
L’Ikebana met en jeu différentes textures et matières : celle du vase (le chaud/le froid), de l’eau (mouillée/filante), des cailloux, (le lourd/le léger), l’écorce (le rugueux/le lisse), les pétales (matière douce, fine et délicate), les tiges (veloutées/piquantes), les bougeons (matière collante).
La richesse tactile offerte par cette médiation est importante et varie au fil des créations des patients, qui demeurent uniques et singulières.
Tonus/Motricité fine:
La pratique de l’Ikebana nécessite l’utilisation d’outils spécifiques, et implique une bonne coordination du regard et du geste. Avoir le geste juste nécessite que le patient puisse réguler son propre tonus musculaire. De la première étape (qui est l’intention de créer), à la dernière (c’est-à-dire la réalisation concrète), le patient devra expérimenter par lui-même les différentes possibilités d’agencement qui s’offrent à lui et ainsi adapter son geste.
Cette médiation nécessite une capacité d’attention/concentration, notamment pour couper correctement les fleurs et les positionner dans le vase. La motricité fine est l’aspect le plus travaillé à travers l’exploration tactile : le fait de caresser, pincer, arracher, tendre, tordre, tirer permet d’explorer les dissociations des doigts et l’utilisation de la pince pouce index.
Espace/Equilibre :
Créer une sculpture vivante dans l’espace avec des végétaux permet au patient de structurer l’espace, en tenant compte de nombreuses contraintes (comme la gravité pour n’en citer qu’une). Certaines branches sont difficiles à faire tenir et mettent en jeu le sens de l’équilibre. Le patient doit alors anticiper et évaluer si la fleur qu’il va positionner dans le vase va rester en place ou non. Ce rapport à l’espace, en plus de l’agencement final, oblige le patient à se situer dans l’espace et peut l’aider à (re)trouver son propre schéma corporel.
Schéma corporel
Pour rappel, le schéma corporel fait partie du registre sensori-moteur et cognitif. L’activité motrice permet à l’enfant ou au patient de construire une conscience globale et unifiée de son corps. Le schéma corporel peut alors être mentalisé comme un espace défini et délimité, au même titre qu’une composition florale.
En effet les fleurs ont une tête, un corps (tiges), et parfois un point d’ancrage (racines). L’Ikebana permet ce travail autour du schéma corporel, grâce à une construction progressive et minutieuse de la composition florale.
Proposition d’une séance :
Cette proposition de médiation est totalement adaptable et dépend des capacités du patient, mais également de sa motivation et de son niveau d’autonomie :
La consigne pour le patient : Créer une composition que vous trouvez intéressante en utilisant des éléments naturels de type : fleurs, branches, baies, feuilles, mousses, champignons, écorces, bourgeons….
Si le patient est en mesure de le faire, il pourra choisir lui-même les éléments qu’il souhaite utiliser. Il les trouvera dans les lieux de son choix et en fonction de ses possibilités ; dans la nature (forêt, champs), dans son jardin, dans les parcs ou squares, en bordure de route, chez un fleuriste….
Il suffit que le patient ait deux ou trois éléments pour créer une composition. Nous lui fournissons un choix de quelques vases ou coupes de tailles et de matériaux différents ; s’il le souhaite, il peut emmener un contenant de son choix. A la fin de la séance, le patient pourra choisir de ramener la composition chez lui, de la laisser sur place, de la détruire ou de la démonter. Nous prendrons ensuite un temps de verbalisation autour de la composition elle-même, du choix des matériaux et du choix en fin de séance (conserver, manger ou détruire sa composition). Nous pourrons également aborder l’aspect psychoaffectif de la médiation en interrogeant le patient sur les émotions provoquées par ces étapes. Il est essentiel d’aborder la différence entre le résultat imaginé au moment du choix des matériaux et le résultat réel perçu par le patient.
Exemple de variante pour un patient avec des troubles de la structuration spatiale :
Si le patient n’est pas à l’aise avec l’espace, nous pouvons l’inviter à réaliser une composition horizontale (à plat sur la table ou sur un plateau par exemple). Ainsi, il pourra créer sans les contraintes d’équilibre propres à l’art floral (en agençant simplement les végétaux comme il le souhaite sur le plateau ou dans une boite ouverte). Dans ce même cadre, il peut également choisir d’utiliser un contenant de type bocal et y disposer les fleurs sans tige. Ce qui permet de réaliser un volume, mais sans la notion d’équilibre dans l’espace.
Si cette médiation l’intéresse, nous pourrons l’amener progressivement à utiliser l’espace et à composer à la verticale.
Ces consignes ne correspondent pas à toutes les pathologies. Pour limiter les étapes et simplifier l’exercice, nous pouvons modifier la consigne en proposant nous-même quelques éléments floraux de notre choix au patient.
Nous lui demanderons ensuite d’en faire une composition pendant la séance. Nous pouvons aussi utiliser des végétaux (naturels ou artificiels à piquer sur de la mousse en fonction des capacités du patient).
Une fois que la consigne de la médiation et le cadre sont fixés, il semble important que le patient soit actif à toutes les étapes, notamment dans les choix artistiques et la disposition des végétaux. L’un des objectifs de cette médiation est qu’il s’approprie la composition florale comme étant sa propre création et qu’il l’explore par lui-même en utilisant ses 5 sens.
L’IKEBANA : une démarche globale
Pour conclure, l’Ikebana s’inscrit dans une démarche globale corps/esprit à travers le dialogue entre les éléments de la composition et le patient. L’Ikebana implique le corps, dans le but de stimuler l’esprit dans sa fonction cognitive et affective. Il correspond aussi bien à l’aspect éducation que rééducatif en psychomotricité. L’infinité des possibilités et de complexification permet de s’adapter à un grand nombre de patients et de pathologies.