« Ici, vous l’avez compris, les fous ne font peur à personne. » p59

Nous avons choisi de vous présenter l’ouvrage « Jouer à La Borde, théâtre en psychiatrie », publié en 2015 aux éditions libertaires, par Henri Cachia. L’auteur nous confie: « Je qualifierais cet ouvrage d’essai-témoignage. L’objectif principal étant de présenter La Borde (où la philosophie a toujours été très présente), par le biais de l’expérience théâtrale d’un comédien, pensionnaire parmi les pensionnaires, ayant participé au traditionnel spectacle du 15 août, événement majeur de la vie labordienne, aux côtés des soignés et soignants de cette clinique psychiatrique hors norme.« 

 

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En préface, Yannick Oury-Pulliero, fille du célèbre fondateur de la clinique, ayant repris le flambeau depuis le décès de son père, nous rappelle que « ce qui s’y passe ne peut pas se déchiffrer sans y avoir séjourné un certain temps, que ce soit comme patient ou comme soignant« . Précision utile pour moi, dans le sens où l’univers psychiatrique me semble de moins en moins supporter l’implicite; il faut tout y expliquer, voire prouver ce qu’on y fait, ce qui s’y passe, parfois à des personnes extérieures qui n’ont pas le temps de se laisser porter ou emporter par le rythme institutionnel.

Après une catastrophe existentielle, la psychothérapie institutionnelle propose aux patients – et aux soignants- de prendre soin, ensemble, de de se rassembler autour de la vie quotidienne. La notion d’ambiance, portée et théorisée par Jean Oury, est au cœur de cette idée. La liberté de circulation permet de faire advenir des rencontres et des échanges, notamment au moyen du club thérapeutique. Evidemment, cette dimension de la liberté de circulation entre intérieur et extérieur relève d’une éthique du sujet, qui tend à disparaître me semble-t-il, au profit de discours sécuritaire glosant sur la dangerosité des patients en psychiatrie.

Inutile, me semble-t-il de refaire un historique de ce lieu presque mythique qu’est La Borde; même si à la lecture, on sent encore le passage par ces lieux ou l’influence des grandes figures telles que Tosquelles, Bonnafé, Guattari, Deleuze ou encore Lacan. D’autres articles sur ce blog traitent déjà de ce sujet.
Ce qui me semble plus important ici, c’est que l’auteur, Henri Cachia, nous ouvre certaines portes pour nous plonger dans l’ambiance labordienne. Comme si, à sa lecture, nous passions un certain temps à déambuler dans ce lieu mythique, ce certain temps nécessaire pour être capable d’y entendre quelque chose.

Ainsi, nous sommes invités, dans cet ouvrage, à jeter un œil sur les portraits des patients de Réné Caussanel, comme si on les croisait au détour d’un couloir, lors d’une réunion, en déambulant dans les jardins. Nous pouvons lire quelques articles tirés du journal de La Borde, écrits par les patients ou par les soignants, ou encore par les stagiaires de passage qui évoquent leur expérience et leur attachement à ce lieu – presque une hétérotopie. Henri Cachia nous fait visiter – comme s’il se faisait « poisson-pilote » pour nous lecteurs – les lieux importants et hétérogènes de La Borde. Il nous présente ainsi le Club thérapeutique, organe institutionnel animé par les patients et les soignants, auquel « l’idée la plus folle peut être exposée. Le pire qu’il puisse lui arriver, c’est d’être refusée. » Autre manière de redonner de la liberté et de dire que rien n’est impossible. Puis on déambule dans le grand salon, qui accueille des animations, les réunions et le feu qui crépite tous les soirs dans la cheminée; la Chapelle, dans laquelle se déroulent lectures et autres discussions philosophiques; la halte-garderie qui accueille les bambins du personnel; et enfin la Rotonde où se déroulaient les séminaires de Jean Oury tous les samedis.

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Suite à quoi nous suivons la mise en place, l’évolution et le travail de la pièce de théâtre en vue de la fameuse représentation du 15 août. Travail du texte, travail du lien. Il s’agit alors de jouer – ce qui n’est pas si simple, et qui est une affaire très sérieuse. Travail sur l’agressivité, le vide et le silence, l’oubli, la solitude, la mise à nu et l’angoisse que cela peut provoquer. Il est toujours difficile de se montrer, mais, semble-t-il, «  que l’on soit un comédien ayant de la bouteille, ou une jeune et timide débutante, on fait vraiment partie de la même famille (…) on est dans le même bateau (…) le cœur léger, et le trac au ventre. » (p155)

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Pour en savoir plus et se procurer l’ouvrage sur le site des éditions libertaires