L’exposition à la cinémathèque qui rend en ce moment hommage à Tim Burton, me donne l’occasion de parler d’Edward Scissorshands.

Je travaille actuellement en psychiatrie et le thème “Tim Burton” du groupe ciné-club de mon hôpital de jour a donné l’occasion aux patients de visionner ce film très récemment. J’ai le souvenir précis d’une patiente, qui, sortant du film les yeux plein de larmes m’interpelle et me dit : « Si j’avais su Sarah que ça finissait si mal j’aurais préféré ne pas le voir ». Emue, intriguée et n’ayant jamais vu ce grand classique, je me suis dit que le moment était venu. Profitant de mon inspiration et de la naissance de PSYCOGITATIO, je partage aujourd’hui avec vous ma surprise et mon émotion face à ce grand film qui nous parle si bien de l’étrange…

Synopsis rapide pour se remettre dans le bain.

Edward est un jeune garçon « ordinaire », à ce détail près qu’il a, en lieu et place des mains, des ciseaux longs de 50 cm, tranchants comme des lames de rasoir.

Un jour une dame de la middle class américaine le trouve vivant seul dans le grenier d’un imposant manoir et décide de le ramener chez elle. Edward qui vivait reclus se retrouve alors plongé au cœur de la banlieue américaine, rectiligne, propre, ennuyeuse. Edward, ses ciseaux aiguisés et son débarquement au milieu de la communauté des hommes me fait penser à la fameuse parabole des porcs-épics empruntée par Freud à Schopenhauer.

« Un jour d’hiver glacial, les porcs-épics d’un troupeau se serrèrent les uns contre les autres afin de se protéger contre le froid par la chaleur réciproque. Mais, douloureusement gênés par les piquants, ils ne tardèrent pas à s’écarter de nouveau les uns des autres. Obligés de se rapprocher de nouveau en raison du froid persistant, ils éprouvèrent une fois de plus l’action désagréable des piquants, et ces alternatives de rapprochement et d’éloignement durèrent jusqu’à ce qu’ils aient trouvé une distance convenable où ils se sentirent à l’abri des maux. » Freud, Essais de psychanalyse, éd. Payot, p.112

Edward nous ramène sans cesse à cette question de la distance « convenable » avec l’autre, ce mouvement incessant, toujours réinterrogé : comment être avec l’autre sans se blesser, sans le blesser ? Les ciseaux d’Edward viennent questionner la limite, car c’est la peau, qu’ils risquent de transpercer à tout instant. Cette membrane qui a cette fonction paradoxale de séparer l’Interne de l’Externe ET dans le même temps de les maintenir en contact.

Que dire à part… « Il faut relire Anzieu »!!

«Le Moi est comme la peau. Par la denomination “Moi-peau” il désigne une représentation dont le Moi de l’enfant se sert, durant les phases précoces de son développement, pour se représenter lui meme à partir de sa propre experience de la surface du corps, comme Moi qui contient les contenus psychiques. Le Moi-Peau est basé sur les différentes fonctions de la peau. La première est celle d’un sac qui contient et retient à l’intérieur le bon et le plein que l’allaitement, les soins, le bain de paroles y ont accumulé. La peau deuxième fonction, est aussi la surface de séparation (interface) qui marque la limite par rapport au dehors et le maintient à l’extérieur: c’est la barrière qui protège contre la pénétration des avidités et des agressions d’autrui, êtres ou objets. Enfin la peau troisième fonction, est – en même temps que la bouche ou, du moins autant qu’elle- un lieu et un moyen majeur de communication avec les autres, permettant d’établir des relations significatives » (Le Moi-Peau, 1985, p. 236-237)

Si la peau fournit à l’appareil psychique les représentations constitutives du moi alors Edward représente un « danger » (pour lui même et pour autrui). En effet d’après cette métaphore, Edward et ses ciseaux menacent à tout moment l’intégrité du Moi (le sien ou celui de l’autre). La barrière protectrice contre l’excitation ainsi que la fonction de contenant pour la pensée signifiante est  donc mise à mal.

En psychiatrie, nos patients nous mettent sans cesse face à cette question des limites. « Est ce que l’autre peut entendre ma pensée? », « Est ce que le savon va pénétrer ma peau? ». Chaque jour nous nous demandons comment aider au mieux nos patients? Comment être auprès d’eux, cet Autre, différent, séparé mais pas menaçant?

A la fin du film Edward retourne vivre seul dans son manoir, loin des gens ordinaires, j’ai alors repensé à ma patiente qui était sortie du film boulversée. Ce monde dit “ordinaire” dont nos patients rêvent tant mais qui leur fait si peur. Aujourd’hui, chacun avec nos moyens, nous avons tous un rôle à jouer pour que le regard sur la folie change. Ecoutons radiocitron.com!

Sarah Devos, Psychologue clinicienne

Pour voir un extrait d’Edouard aux mains d’argent, cliquez sur : Extrait Edouard 1