Il y a une semaine, le gouvernement français nous a demandé de rester chez nous pour ralentir la propagation du Coronavirus.

Qu’en est-il de la pratique du psychologue en période de confinement ?


Pour mieux comprendre en quoi les mesures sanitaires mises en place afin d’endiguer l’épidémie du COVID-19 ont un impact sur la pratique du métier de psychologue, nous avons recueilli plusieurs témoignages de psychologues travaillant en France dans différentes structures qui accueillent diverses populations. Ces nombreux témoignages nous ont permis de prendre une photographie (après une semaine de confinement) de la modification des missions du psychologue, de la réorganisation des services et de la majoration du mal-être des équipes.


Des mesures appliquées différemment d’un EHPAD à l’autre :



Lucie, psychologue dans un EHPAD et une USLD rattachés à l’hôpital public écrit sur Facebook : « on m’a demandé de vider mon bureau afin qu’il devienne une chambre mortuaire. Les bureaux des psychologues d’EHPAD et d’USLD ont été tous réquisitionnés par notre hôpital pour pouvoir entreposer les corps des patients qui ne pourront obtenir de réanimation, qui ne pourront pas être enterrés et à qui les familles ne pourront dire un dernier au revoir. La suite, je l’ignore. Mais depuis quelques jours, ce sont la colère, la tristesse, l’ambivalence entre les besoins « urgents » et la place que l’on nous donne … Toutes ces émotions vont impacter ma pratique. Je resterai fidèle malgré tout à mes convictions et l’envie d’être présente pour mes patients. Malheureusement pas physiquement car la direction a demandé le départ des psychologues ».


Marion, également psychologue en EHPAD, raconte que toutes les activités de groupes sont stoppées et que les résidents sont confinés en chambre. « Les mesures sont tellement floues, je crois que c’est au bon vouloir de la direction. On manque de tout : masque, gel, gants, etc.. donc j’ai malheureusement dû arrêter les entretiens avec les résidents. Les transmissions étant réduites au strict minimum, je passe la journée à accompagner les équipes soignantes en grande souffrance. »


Fabien, psychologue dans une Unité de Vie Protégée Alzheimer au sein d’un EHPAD, précise ; « nous n’avons même pas essayé de confiner les résidents atteints de démences sévères. Nous les laissons malheureusement déambuler sans possibilité de faire des activités de groupes. Je « bricole » quelques animations et j’aide pour les repas ; je subis surtout un glissement de tâches, mais je sais que c’est nécessaire et temporaire. La solidarité et le calme sont omniprésents ; nous faisons face tous ensemble pour éviter à tout prix que le virus pénètre les murs de l’unité.


Les grands « perdants » du confinement : les psychologues en libéral



Catherine a dû fermer son cabinet. « J’ai pas mal de colère vis-à-vis de ceux qui ne l’ont pas encore fait mais je ne suis pas encore prêt à en parler ; l’émotion est encore trop présente pour que je puisse mettre des mots dessus correctement. Je vais perdre l’équivalent d’un mois et demi de salaire si le confinement dure 6 semaines. J’ai eu quelques téléconsultations cette semaine, peut-être que j’en aurai plus si les gens commencent à se sentir mal, enfermés chez eux ».


Michael, psychologue auto entrepreneur dans un petit village, explique : « je travaille avec des personnes âgées et des enfants qui n’ont pas la possibilité d’utiliser la téléconsultation. De plus, beaucoup de mes patients ne peuvent pas s’isoler pour échanger au téléphone car leur famille est présente. Le confinement porte atteinte à la discussion. Niveau éthique et déontologie, je trouve cela peu adapté. Faire de la pâte à modeler par Skype me parait compliqué » ironise t-il !


Farid, psychologue du travail dans une PME, en télétravail actuellement, a ouvert en parallèle son cabinet le 1er mars 2020 (à raison de 2 journées de consultation par semaine). « C’est une catastrophe d’un point de vue financier » explique t-il « je n’ai aucun patient, mais de lourdes charges à payer. J’ai cru comprendre que le gouvernement propose une aide de 1500€, mais comment l’obtenir ? Je crains que les jeunes auto-entrepreneurs soient les grands oubliés des aides gouvernementales ».


La continuité de la prise en charge des plus jeunes est également très compliquée :



Romane, psychologue de la PJJ, indique que « les mesures judiciaires d’investigation éducatives sont stoppées, les visites à domicile sont suspendues et les réunions en présentiel annulées. L’équipe a organisé un roulement pour qu’un binôme soit toujours présent sur site. Ayant été en contact avec une personne probablement atteinte du COVID-19, par mesure de prévention, je travaille exclusivement en télétravail. Je rédige tous mes écrits pour lesquels j’avais pris beaucoup de retard… J’ai régulièrement les équipes au téléphone pour évoquer les situations les plus complexes comme les violences conjugales, les maltraitances faites aux enfants, et les conjugopathies.« 


Lucie indique qu’elle travaille en IME et SESSAD disposant d’un agrément déficience intellectuelle et TSA (3-14ans). Depuis le début du confinement, chaque professionnel (pédagogique, éducatif et thérapeutique) maintient un contact journalier (téléphonique ou électronique) avec les familles. C’est à dire que chaque jour, tel professionnel joint telle famille. A mon grand étonnement, beaucoup de familles sont, pour le moment, réceptives à cette solution d’accompagnement (en attendant…). Et je trouve également cela bénéfique dans la mesure où nous pouvons échanger davantage avec les parents, puisque finalement nous les voyons très peu sur site. Nous pouvons également avoir les jeunes au téléphone, ce qui permet de garder du lien dans l’alliance thérapeutique. »


Noémie, Psychologue de l’Education Nationnale EDA, explique qu’elle est au chômage technique complet ; « Je ne peux plus voir les enfants, et la visio n’est pas envisageable. De même, je ne me vois pas faire les comptes rendus de bilan aux parents par téléphone… J’ai quand même indiqué aux familles que je restais disponible sur mon numéro professionnel si jamais elles ressentaient le besoin d’avoir un soutien pendant cette période peu ordinaire. Pour le moment, pas d’appel !


Le milieu associatif n’est pas épargné non plus :


Paolo, psychologue dans une association qui vient en aide aux personnes aveugles et malvoyantes à domicile, précise que toutes les visites à domicile sont stoppées mais qu’il maintient le lien via des entretiens téléphoniques hebdomadaires. « Ces entretiens sont très riches cliniquement et je découvre une nouvelle façon de travailler. J’ai le sentiment que ce virus peut nous amener à modifier positivement nos habitudes de travail ».


Marianne, psychologue dans un foyer de vie pour adultes handicapés, explique que la structure reste ouverte, mais que les activités et ateliers thérapeutiques sont arrêtés. « Je faisais un groupe de parole et un groupe de jeux sensoriels… Je n’ai plus le droit de recevoir de résidents dans mon bureau car il est trop petit. La demande de la direction est que je puisse contenir les angoisses des éducateurs, mais on ne m’a pas parlé de celles des résidents ; cela me questionne. Je me retrouve donc à passer d’unités en unités pour discuter avec les éducateurs et mettre des mots sur la situation des résidents. La question de la séparation et de l’abandon se pose puisque certains résidents sont rentrés dans leur famille et pas d’autres… Les réunions sont officiellement annulées donc on se retrouve à discuter dans les couloirs ! A l’heure actuelle, je fais beaucoup de préparation d’atelier et finis les projets en cours.


Le secteur hospitalier est frappé de plein fouet !



Théo (qui est psychologue dans 4 villes et 3 institutions différentes) raconte : « étant donné que je vivais à Paris chez ma grand-mère de plus de 80 ans, j’ai été contraint d’abandonner l’équipe pour me confiner à Nantes … Je continue à suivre mes patients du Havre via des entretiens téléphoniques et je continue à travailler avec l’équipe par l’intermédiaire d’un groupe WhatsApp, ainsi qu’à suivre des patients en téléconsultations… En ce moment je travaille principalement sur les cours que je vais faire parvenir à mes étudiants en passant par eCampus, et j’envisage de proposer un cours aux M1 avec Microsoft Teams. »


Julie du blog Psycho&Co qui travaille en psychiatrie explique que les informations tombent au fur-et-à-mesure : « Nous ne faisons plus de consultation externe (sauf urgence), uniquement des consultations téléphoniques depuis notre domicile. Les psy du service font un roulement (équipe de 2 psychologues pour 2 jours et demi par semaine), ce qui fait que ma pratique change peu pour les patients hospitalisés que je continue de voir. Ce contexte est très stressant : un jour on doit mettre des masques, le lendemain non… nous ne sommes pas protégés. C’est difficile car je reçois énormément d’emails chaque jour, c’est fatiguant d’avoir autant d’informations à intégrer, surtout si ces dernières changent régulièrement ! »


Nadia, psychologue en service de oncologie, résume sa situation : « je continue mes consultations avec blouse et masque au chevet des patients hospitalisés. La demande est forte depuis l’arrêt des visites : les patients évoquent l’après-COVID au même titre qu’ils parlent de l’après-cancer. Les chimiothérapies non curatives (dites « de confort ») sont arrêtées, et les patients sont renvoyés chez eux lorsqu’il n’y a pas d’urgences : c’est très violent pour le patient, la famille et les soignants. Concernant les équipes, qui sont en souffrance intense, je fais beaucoup de réassurance et de valorisation. A l’heure actuelle, je ne peux pas proposer plus ». Katia, également psychologue en oncologie, témoigne : « l’hôpital pousse les murs pour libérer de l’espace afin d’accueillir la vague de patients atteints du COVID-19. De nouveaux espaces sont créés dans le hall de l’hôpital, les sous-sols et les ailes désaffectées. J’adapte ma pratique au jour le jour, il y aura « un avant et un après » pour l’ensemble du système de santé français et donc pour la prise en charge psychologique en cas de pandémie ».


Nos questionnements restent en suspens…


Quelle place pour les soins psychiques et donc pour le psychologue au cœur de la pandémie ?


Actuellement, il semble indispensable de rester présent, psychiquement plutôt que physiquement, pour continuer « d’être là » pour les équipes, les familles, les patients/résidents/usagers. Audrey (alias LaPsyQuiParle) insiste sur l’importance de se tenir informé des dernières recommandations en vigueur pour accompagner la population durant le confinement. Il est notamment très intéressant de creuser la question des effets psychologiques de la quarantaine (comme le stress, l’ennui ou la solitude).


L’après-COVID-19 placera les psychologues en première ligne pour panser les blessures psychiques de celles et ceux actuellement au front. Le temps où il sera nécessaire d’accompagner et d’aider à élaborer ce qui n’aura pas pu être mis en mots pendant la crise, se doit déjà d’être pensé !


Vous trouverez ci-dessous une liste non exhaustive de recommandations :

SNP / Les psychologues partie prenante de l’accompagnement psychologique au sein de la crise sanitaire du COVID-19

SNP / COVID-19 – Conseils pour les psychologues en libéral

L’éncéphale-onligne / Crise Covid-19 : Recommandations pour les soignants et patients en santé mentale

PSYFORMED / Une plateforme qui vise à mettre en lien le personnel médical qui fait actuellement face au COVID-19 avec des psychologues bénévoles.

Psychologues solidaires : consultations gratuites pour les soignants

Le site du Gouvernement pour avoir les informations officielles en temps réel


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