Danaë Holler est une jeune psychologue clinicienne active, autant dans sa vie professionnelle que sur le net. Elle a débuté sa propre chaîne Youtube. Elle y parle du cursus universitaire en psycho et de ses thèmes de prédilection. Bravo à elle de s’être lancée et de nous partager ses réflexions ! Aujourd’hui, elle nous fait part d’un article inspiré directement de son sujet de mémoire : Mastectomie et image du corps.


Quelles sont les répercussions psychiques de la mastectomie sur l’image corporelle de la femme ?


 

Image du corps et cancer


Déjà, qu’est-ce que l’image du corps ? Eh bien, selon Marilou Bruchon-Schweitzer, il s’agit de l’ensemble des représentations qu’une personne a de son propre corps à travers diverses expériences vitales. L’image corporelle serait donc liée à une vision psychologique de la représentation de soi, qui valorise les sentiments éprouvés pour le corps.

Ensuite, on peut naturellement supposer que plus l’organe atteint par le cancer est chargé symboliquement, plus l’incidence de son ablation sur l’image corporelle sera forte. Le sein (c’est ce qui nous intéresse !) est un symbole fort de l’identité féminine du fait de ses liens très étroits avec la maternité et la sexualité. Donc forcément son atteinte vient provoquer un déséquilibre qui engendre chez la femme d’importants remaniements psychiques.


Un trauma sur un trauma


L’annonce de la mastectomie vient s’ajouter au choc de l’annonce du cancer du sein ! Comme le dit Denise Morel, c’est un « un trauma sur un trauma ». La psyché est alors assaillie par un déferlement d’affects désordonnés et par un flux constant de questionnements qui peinent à trouver réponse, faisant émerger un sentiment grandissant d’injustice et de culpabilité. Au delà de l’annonce, c’est la réalisation de l’acte chirurgical qui vient bouleverser le corps de la femme.

Au fil de mes lectures (dont la bibliographie est disponible à la fin de l’article), j’ai relevé un certain nombre d’éléments concernant les retentissements de la mastectomie sur l’image corporelle. Tout d’abord, lors d’un cancer du sein, l’image du corps, et par conséquent l’intégrité corporelle et l’identité de la patiente se brisent. En effet, la mastectomie vient remettre sur le devant de la scène l’angoisse de castration, et au-delà, celle de la mort. La mastectomie impose par conséquent de nombreux remaniements psychiques liés à la perte narcissique de l’image idéale de soi et de l’illusion d’immortalité. Ces remaniements peuvent être coûteux voire dangereux, mais ils peuvent aussi conduire, grâce à un « travail de la maladie », à un réaménagement psychique positif et une reprise de sens. Bon ! Assez parlé de théories ! Maintenant, je vais vous expliquer la petite étude que j’ai menée pour rendre compte de l’impact de la mastectomie sur l’image corporelle de la femme.


De la théorie à la pratique


 

Lorsque l’on tente de répondre à une problématique aussi complexe que celle de l’image du corps et du cancer du sein, il est nécessaire de confronter la théorie (ce que disent les auteurs) avec la pratique (ce que nous, moi par exemple en tant que psy, repérons sur le terrain). Pour ce faire, sur une population de trois patientes ayant subi une mastectomie totale sans reconstruction, j’ai tenté, à travers la réalisation d’un entretien semi directif et la passation du Rorschach (test projectif permettant d’évaluer entre autres la représentation du corps), de mettre en évidence l’incidence négative de l’ablation d’un sein sur l’image corporelle de la femme.

Les résultats de cette micro étude sont étonnants au vu de l’importance accordée par les auteurs aux bouleversements identitaires décrits chez les patientes ayant subi une mastectomie. Je m’attendais à retrouver un bouleversement intense de l’image corporelle de mes patientes, allant jusqu’à créer une véritable crise identitaire. Même si l’identité est un concept fortement lié à l’image corporelle, mes résultats nuancent quelque peu la littérature. Mais avant tout, il nous semble important d’exposer les points communs entre les résultats de mon étude et ce qu’on trouve dans les livres.

A propos de l’annonce de la maladie (et par conséquent de la mastectomie), je retrouve bien la sidération décrite par les auteurs. La mastectomie a créé un réaménagement défensif chez les patientes, qui n’étaient plus en mesure de faire appel à leurs défenses habituelles. Cette « double peine » relatée par celles-ci semble concorder avec le fameux « trauma sur un trauma » de Denise Morel. Leur corps a été profondément atteint, et cela entraîne un repli de soi et une inhibition de leur pensée. Je constate également que le discours des patientes est très inhibé ; les réponses sont brèves et ponctuées de longues latences. Cette inhibition est à mettre en lien avec le vécu actuel de nos patientes (traitement, opération, hospitalisation) qui vient réactualiser le trauma de l’annonce du cancer et de la mastectomie. Les effets à long terme du traumatisme de l’annonce refont surface dès que le vécu corporel de la femme se modifie.


Le cancer, ce crabe humiliant


L’image du « crabe » (dévorant le corps du malade) qu’on retrouve fréquemment dans le discours des patientes fait écho aux représentations populaires, particulièrement violentes que nous pouvons entendre partout. Certaines patientes perçoivent le cancer comme une maladie « honteuse et sale » dont il faut vite « se débarrasser ». Ce sentiment de honte n’est pas sans rappeler l’humiliation (que peuvent ressentir les malades à la suite du diagnostic d’un cancer), décrite par certains auteurs comme Alicia Lamia. Cette humiliation vient fragiliser le narcissisme du sujet et entraîner une baisse d’estime de soi importante.

Concernant l’estime de soi, je constate que l’ablation d’un sein a amorcé chez nos patientes l’effondrement du mythe de la toute puissance décrit par notre chère Dolto. Pour faire simple, je repère chez les femmes de l’étude une baisse d’estime de soi due à la remise en question de l’image idéale de Soi et de la profonde blessure narcissique ressentie. L’estime de soi négative des patientes est souvent contrebalancée par un vocabulaire très combatif. Malgré cela, l’estime de soi (fondement de l’image corporelle) des sujets de notre micro étude est meurtrie. Ce phénomène de dépréciation (très bien expliqué par Craig White), entraîne également une fragilité narcissique.


Toute puissance et immortalité


On peut donc véritablement parler de perte de l’illusion narcissique de toute puissance et d’immortalité chez nos patientes, dans le sens où, la mastectomie est une trace physique et psychique de la maladie, qui les confronte à leur propre mortalité. Le récit des femmes ayant subi une mastectomie permet de mieux se rendre compte que l’acte chirurgical est venu faire voler en éclat l’illusion narcissique de toute puissance et d’immortalité. L’ablation totale d’un sein a bousculé l’équilibre narcissique antérieur en brisant l’illusion de santé éternelle. L’image narcissique d’immortalité s’est fissurée, entraînant la perte de l’image idéale et la réactivation de l’angoisse de castration allant jusqu’à l’angoisse de mort. Denise Morel (oui encore elle, mais j’adore ce qu’elle écrit) explique que la mastectomie réanime chez nos patientes l’angoisse de castration, ainsi que l’angoisse de l’ultime castration ; la mort.


Une blessure narcissique profonde


 

La mastectomie entraîne chez les femmes une blessure narcissique et atteint leur identité féminine. A ce propos, il me semble intéressant de revenir sur l’épreuve du miroir qui a été très éprouvante pour l’ensemble des patientes de l’étude. Elles expliquent s’être senties « bizarre et étrange » face au reflet du miroir. Ce sentiment n’est pas sans nous rappeler « l’inquiétante étrangeté » décrite par le célèbre Freud. La dissymétrie entraîne chez les femmes un déséquilibre psychique et un sentiment d’étrangeté. Pour faire simple, le miroir leur renvoie une image de leur corps transformé. Le récit d’une des patientes de l’étude illustre parfaitement la blessure narcissique et l’angoisse de castration décrite par la littérature : « J’étais une femme enfant. J’avais un sein de femme de 50 ans et un sein d’une enfant de 6 ans ». Le manque et le vide laissés par l’ablation, réactivent une ancienne blessure narcissique que ressentait la petite fille face au corps de sa mère. L’identité des patientes semble s’être modifiée en même temps que leur image. Certaines patientes estiment être « toujours les mêmes » malgré la mutilation qu’elles ont subie, car leur « ancrage identitaire » assure la permanence de leur identité malgré que leur rôle et leur statut se soient trouvés modifiés. La mastectomie induit donc la perte de l’identité antérieure, et fait vaciller le sentiment de continuité et d’unité qui fonde l’intégrité corporelle. Ce phénomène est observable à travers le récit d’une patiente de l’étude ; il y avait un « avant » qu’elle a perdu : « je n’ai jamais été malade » et il y a un vécu actuel qui vient faire voler en éclat l’illusion narcissique de toute puissance et d’immortalité. Je constate ainsi que lors d’une mastectomie, et plus globalement lors d’un cancer, l’axe narcissique est attaqué et fait vivre au patient une fêlure narcissique qui atteint l’intégrité de son image corporelle.


Des défenses archaïques activées


 

Je note que la présence de mécanismes hyper adaptatifs et de commentaires d’autodépréciation, révèle une fragilité narcissique et une mésestime de Soi, par conséquent une atteinte de l’image corporelle, chez les patientes. Les auteurs décrivent des défenses archaïques, de type psychotique chez les patients cancéreux. Les défenses mises en place par les femmes de l’étude sont principalement maniaques et adaptatives (rire, autodérision, humour). Ces mécanismes ne sont d’ailleurs pas sans rappeler le concept de résilience décrit par Boris Cyrulnik. Un repli narcissique et une régression psychosomatique (Lindenmeyer, 1998, p. 50) sont observables (« on prend soin de moi », « je voulais être seule, moi et moi seule »). Certaines choisissent l’agitation plutôt que la réflexion (« Je bouge toute seule dans ma chambre pour éviter de trop penser, j’essaye de me fatiguer pour vite dormir le soir »). Cette frénésie qui prend peu à peu la place d’une pensée réfléchie et de l’expression d’affect, me laisse penser que quelques patientes utilisent un mécanisme adaptatif de type activisme. Je constate cependant que malgré la présence de mécanismes adaptatifs, l’angoisse de mort émerge peu à peu dans le discours des patientes, à travers l’angoisse de castration, provoquée par la mastectomie.

L’angoisse suscitée par la mastectomie semble ancrée profondément en elles, et marque avec force la volonté de ne plus avoir à faire au milieu médical. Comme le dit si bien Françoise Bullmann ; « pour accepter un sein reconstruit, il est nécessaire de faire le deuil du sein perdu ». Cette perte est particulièrement difficile à surmonter. Le choix de la non reconstruction est majoritairement dû au fait que les femmes de l’étude préfèrent vivre avec un seul sein, plutôt que de devoir à nouveau subir une intervention chirurgicale. Le travail de la maladie semble être engagé pour les patientes de l’étude. Mais, leur vécu actuel ne leur permet pas encore d’y avoir accès, car elles doivent avant tout faire le deuil de leur corps sain et de leur image idéale pour commencer ce travail de la maladie. En effet, pour ces patientes, l’acceptation de leur nouvelle image corporelle est en cours d’élaboration, le cheminement pour faire le « deuil du sein perdu » semble long et particulièrement angoissant pour l’ensemble des patientes de notre étude.


Un zoom sur les réponses au Rorschach


Bien que la majeure partie de mes résultats vienne confirmer la littérature, il convient de nuancer certains éléments. Certes, les patientes vivent les changements physiques dus à l’ablation d’un sein comme de violentes attaques contre leur féminité. Mais, l’atteinte identitaire semble plutôt être une atteinte de l’unité corporelle. En effet, au Rorschach, l’indice d’angoisse et les focalisations sur le corporel des patientes montrent que l’effraction corporelle causée par la mastectomie est particulièrement prégnante. Le F% et l’IA élevé de l’ensemble des protocoles de Rorschach témoignent d’une fragilité de l’enveloppe corporelle et d’une problématique d’intégrité corporelle. J’observe, par exemple, que l’effraction de l’enveloppe corporelle entraîne des préoccupations et fixations hypocondriaques. Les traitements, qui pénètrent de façon répétitive le corps des patientes, font écho à la passivité subie engendrée par la mastectomie. La planche IV du Rorschach permet de se rendre compte de l’intensité de l’effraction vécue chez les patientes de notre étude (les femmes perçoivent quelque chose « de très gros », « énorme » associée à une angoisse Clob). Le nombre peu élevé de remarques sur la symétrie des planches sur l’ensemble des protocoles est surprenant, au vu de l’asymétrie des corps des patientes. Contrairement à ce qu’affirme la littérature, mes résultats ne montrent pas un chaos identitaire. Je constate chez nos patientes que la mastectomie entraîne une atteinte de leur intégrité corporelle. Les patientes de notre étude sont capables d’établir la frontière dedans/dehors car les F% sont très fréquemment associés à une bonne forme. Cependant, le fait que les F%+ soient en dessous de la norme questionne la consistance du Moi. Les contenus anatomiques et l’IA très élevé attestent d’une certaine fragilité du Moi, qui me semble être directement en lien avec le vécu actuel des patientes de notre étude.

Afin de répondre à la problématique concernant les retentissements psychiques de la mastectomie sur l’image corporelle de la femme, je peux affirmer que la mastectomie est une castration qui brise la féminité. L’ablation d’un sein a une incidence négative sur le sentiment identitaire. Cependant, cette atteinte identitaire correspond plutôt à une atteinte de l’unité corporelle qu’à une véritable crise identitaire entraînant un vacillement de l’identité profonde de la femme. La mastectomie fait voler en éclat l’illusion narcissique de toute puissance et d’immortalité de la patiente. L’ensemble des concepts formant l’image du corps, comme l’estime de soi et le narcissisme, sont atteints lors de l’ablation d’un organe aussi symbolique que le sein. Les résultats de ma petite étude permettent de constater d’importants troubles de l’intégrité corporelle chez les patientes ayant subi une mastectomie. Par conséquent, je peux conclure que l’intégrité de l’image corporelle, fondement de l’identité, est bouleversée par la mastectomie.

Les études portant sur les retentissements du cancer (et principalement sur le cancer du sein) sont un domaine d’investigation très développé et en pleine expansion. Cependant, peu d’études se basent sur les tests projectifs pour mettre en évidence les failles identitaires et corporelles présentes lors de l’ablation d’un organe. Dans ce contexte, il m’a semblé pertinent de démontrer l’importance de détecter le plus tôt possible les altérations de l’image corporelle qui engendrent des failles narcissiques, une problématique identitaire et diverses angoisses véritablement invalidantes pour les patientes. Détecter le plus tôt possible une atteinte de l’intégrité de l’image du corps me paraît crucial, et pas seulement au nom de la « qualité de vie du cancéreux » particulièrement en vogue dans le milieu de la santé. La prise en charge des patientes mastectomisées est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Ces femmes meurtries dans leur féminité sont parfois rigoureusement opposées à tout suivi psychologique, notamment lors de la période de deuil du sein perdu où le déni et l’agressivité sont très présents.

Danaë HOLLER Psychologue Clinicienne


Mais qui est Danaë Holler?


 

Danaë Holler est psychologue clinicienne, psychothérapeute EMDR en devenir et bientôt hypnothérapeute. Elle est particulièrement intéressée par la clinique du corps et du trauma, ce qui l’a amenée à se spécialiser dans la prise en charge des douleurs chroniques, des maladies auto-immunes ainsi que des psychotraumatismes liés à la maladie (notamment due à l’annonce et aux transformations/modifications physiques). Danaë Holler réalise d’ailleurs des bilans pré/post chirurgie pour évaluer la représentation du corps, ainsi que des bilans projectifs en cas de suspicion de trouble de l’image corporelle. Elle s’intéresse également à la psycho-oncologie et plus précisément aux répercussions psychiques de la pathologie cancéreuse sur le sommeil et la sexualité du patient (et de son conjoint). Elle est aussi installée en libéral.

 

Pour plus de précisions concernant la méthodologie de cette micro étude (grille d’entretien et cotation Rorschach, etc), merci de contacter l’auteure de cet article via sa Page Facebook Pro : Danaë Holler – Psychologue

Une version audiovisuelle de l’article est également disponible sur Youtube : Mastectomie et image du corps