Vous avez sans doute toutes et tous pris connaissance de l’allocution du Président lundi soir. Le confinement est en effet prolongé au moins jusqu’au 11 mai prochain et un début de déconfinement a été évoqué. Nombreuses sont les réactions que j’ai pu lire ça et là, à l’égard de la réouverture progressive des écoles et des lycées. La potentielle réouverture de nos cabinets et le déroulement des examens et des oraux pour les étudiants était aussi au coeur des préoccupations.


Tout cela nous questionne, vous questionne et l’article invité que je m’apprête à partager avec vous me semble pour ainsi dire tomber à pic ! Se changer les idées tout en élaborant sur ce que nous vivons actuellement… What else ?! J’ai envie de dire !

Ariane Nguyen, Psychologue Clinicienne, nous propose sa lecture de « Monstres & Cie » à travers le prisme des violences éducatives ordinaires et de la parentalité positive. Rien que pour nous, elle fait aussi le lien avec ce contexte de confinement que nous apprenons tous à appréhender un peu mieux chaque jour.


Qui est Ariane Nguyen ?

« Après m’être formée en institution psychiatrique et en service hospitalier de médecine pédiatrique, j’ai fait mes armes auprès des personnes âgées dépendantes et de leur entourage. Ma pratique se nourrit continuellement d’allers-retours entre la petite enfance et le grand âge tout en passant par l’âge adulte avec l’idée que chaque être humain à des besoins fondamentaux d’attachement, nécessaires pour faire face aux difficultés de la vie. »


MONSTRES & CIE (2002)

Ou comment Pixar nous chante un hymne à la parentalité positive

« Notre cerveau est réellement « câblé » pour la rencontre humaine (…) ce mode de relation « idéale » avec l’enfant, respectueuse, empathique, aimante, transforme les échanges entre l’adulte et l’enfant, permet au cerveau de se développer favorablement et épanouit l’être humain. (…) Ces considérations nous demandent de relever un défi majeur : comment briser des habitudes millénaires ? »

Catherine GUEGUEN, Pour une enfance heureuse (2014)

Avril 2020, nous sommes confinés avec nos enfants dans un petit appartement en pleine ville. Et comme tous les parents avec des enfants en bas âge, 24h/24, 7 jours/7, depuis des semaines : nous sommes souvent épuisés… Tantôt remplis d’optimisme et de bienveillance ; tantôt irrités par les sollicitations continues de nos petits, le quotidien peut vite devenir un combat quand on est sans relais pour nos bambins. Pour peu que la pression professionnelle s’invite dans notre doux foyer et voici les ingrédients d’un cocktail qui peut se révéler amer.

Par chez nous, chaque moment de temps libre se transforme en recherche de solutions pour ne pas céder au marasme de la violence éducative ordinaire. Car l’enjeu est de préserver nos liens ! Ces liens qui n’ont jamais été aussi importants pour tenir en cette période de « guerre ».

Et en tant que psy, je ne suis pas sans ressource… Il y a d’abord mes auteurs favoris : Cyrulnik qui nous apprend tant sur la résilience et nos capacités à faire face à l’adversité. Puis, il y a Gueguen, Filliozat, Raynaud, Junier qui revisitent la parentalité au regard des théories de l’attachement et des neurosciences. Dans ce chaos ambiant, ils sont nombreux à être nos guides et à nous rappeler que pour préserver le développement harmonieux de nos enfants, la non-violence est maître !

Bien qu’experte en la matière, quand l’épuisement est présent, les émotions peuvent moi aussi me submerger. Se faire alors rappeler sans cesse, les règles de base de la CNV (communication non violente) est un atout non négligeable. Et toutes les ressources sont les bienvenues !

Donc, malgré nos obligations, nous passons du temps ensemble. Et nous revisitons des univers oubliés depuis des lustres : celui des dessins animés !

Vous savez comme moi que les dessins animés sont remplis d’un double langage qui parle tant aux enfants qu’à leurs parents. Mais cette fois, c’est avec une oreille avertie de psychologue militante pour les droits de l’enfant et pour la communication non violente, que j’ai écouté cette histoire : celle de Monstres & Compagnie (2002).

Dans un premier temps, troublée par ce dessin animé que je n’avais pas vu depuis bien 15 ans, j’ai passé quelques heures sur la toile pour y trouver une critique qui décoderait ses messages cachés. Lorsque certains y voient le tableau d’un milieu concurrentiel dans une entreprise au bord de la faillite, aucun n’évoque son lien avec les méthodes de violence parentale et ancestrale ayant pour but d’obtenir quelque chose de l’enfant (ici, de l’énergie).

Alors c’est parti ! Je vous propose une lecture de Monsters & Cie comme un conte métaphorique à l’attention des parents qui perdent leurs repères de bienveillance et notamment en cette situation de confinement.


Alors Monstres & Cie, c’est quoi au juste ?

C’est un film d’animation des studios Pixar qui fête ses 18 ans cette année. Rapide synopsis pour poser le décor : à Monstropolis, une ville peuplée de monstres, la source principale d’énergie est le cri des enfants. Dans l’usine de traitement des cris « Monstres & Cie », une équipe de monstres « terreurs d’élite » s’ouvrent à une concurrence sauvage pour terrifier les enfants la nuit en se glissant par la porte de leur placard.

Sully et Bob Razowski, les deux monstres stars de l’entreprise génératrice d’énergie, rencontrent Bouh, une petite fille d’âge pré-scolaire qui s’invite dans le monde des monstres. Espiègle et téméraire, elle terrorisera nos deux héros malgré elle. Ils finiront par s’attacher à elle et ce, contre toutes attentes, alors que leur société considère l’enfant humain comme un être toxique.


Ce dessin animé nous enseigne comment pendant des générations, nous avons cru qu’en effrayant les enfants, on tirerait le meilleur potentiel d’eux…


Et par le plus grand des hasards, face à une situation difficile qui invite nos héros à constater que la peur et la terreur sont contre-productives, ils découvrent que c’est par le rire et la sécurité affective, qu’on obtient des enfants leur meilleur potentiel !


Je vous présente ici quelques analogies métaphoriques pour vous éclairer mon propos :

(Attention SPOIL mais datant de 2002, il y a très certainement prescription)


Les monstres, ces personnages humainement adultifiés

Bienvenue à Monstropolis ! Dans cet univers, somme toute assez semblable au nôtre, l’enfant est craint et est considéré comme tyrannique. Comment ne pas voir dans cette ribambelle de monstres, une société d’adultes incapables de comprendre les besoins de l’enfant et qui, à défaut de connaissance et d’observation, craignent l’enfant en lui conférant des attributs terribles (l’enfant, cette « machine à tuer »).


Monsieur Waternoose, l’héritier d’une époque obsolète

Il est le directeur de l’usine de traitement des cris et se révèlera être un gros comploteur. Il incarne cet ancien dont la famille fait commerce de la terreur des enfants « depuis trois générations » (alors il sait de quoi il parle). En témoignant ainsi, il devient le garant de pratiques terrifiantes qui durent depuis des décennies. C’est le premier personnage qui installe la culture de la violence à l’égard de l’enfant en clamant « il n’y a rien de plus toxique qu’un enfant » ; « si un enfant ne crie plus, nous n’avons plus d’énergie ». A aucun moment, il ne remet en cause les pratiques de l’entreprise malgré une pénurie d’énergie qui fait rage. Oui, Monsieur Waternoose, c’est tonton Germain qui vous dit qu’une bonne claque permet un bon apprentissage et que ça fait des années que ça se passe comme ça et que ça ne fait pas de mal !


Léon, le caïd en souffrance

Léon est le gros vilain du film et le premier concurrent de Sully dans la course à la terreur d’enfant. Il est le défenseur de la violence à l’égard des petits humains dont il fait son fond de commerce. Plus il fera peur, plus il sera le meilleur employé de l’entreprise et il y tient ! Pour avoir développé une personnalité pareille, on ne serait pas surpris d’apprendre que Léon a eu lui-même eu une enfance où régnaient l’humiliation et la peur.


Sully, le gros dur au cœur tendre

Il est notre héros qui se retrouve premier responsable de la venue de l’enfant Bouh au royaume des monstres. Sur le marché de la terreur, c’est le number one. Mais d’abord terrorisé par cette petite fille, il finit par être le premier à comprendre que l’enfant n’est pas une menace en lançant cette phrase à la volée : « je ne crois pas que l’enfant soit dangereux ». Et tout au long de l’histoire, le spectateur est témoin de la relation d’attachement qui se construit entre lui et Bouh. Ce lien se solidifie grâce à l’amour et le besoin de sécuriser l’enfant des dangers qui s’imposent à elle. Cette relation viendra même faire croire à un personnage secondaire que Sully est le père aimant de la petite fille. Sully est le pionnier des théories de l’attachement. Il nous montre comment avec un lien d’attachement sécure, l’enfant et l’adulte peuvent s’épanouir.


Bob Zarowski, le résistant au changement qui manque de confiance en lui

Il est le personnage secondaire, l’assistant et le colocataire de Sully mais surtout le premier résistant au changement. Il est celui qui a peur de voir ses croyances et ses habitudes bouleversées. Il est heureux dans cette vie et il est fier de son entreprise alors pourquoi changer ? Dans un premier temps, pour préserver sa tranquillité, il est prêt à tout pour renvoyer Bouh dans le monde des humains quitte à l’envoyer sur un territoire inconnu (rappelons que Bouh doit avoir 2 ans tout au plus). Il témoigne de sa fragilité quand il apprend que Sully a trouvé un prénom à l’enfant. Avec colère, il dit à son ami : « tu commences à l’appeler et tu commences à t’attacher ». Par cette phrase, Bob confesse sa peur de souffrir s’il y a attachement. Bob a-t-il déjà été déçu par une personne qu’il aimait auparavant ?

Bob exprime la crainte que beaucoup d’adultes qui défendent encore l’éducation par la terreur ressentent : La peur de la remise en question qui viendrait bouleverser (une fausse) tranquillité ! Mais tout au long du film, nous voyons Bob Zarowski oser prendre des risques grâce à son amitié pour Sully et ainsi cheminer vers la bienveillance et la tendresse envers l’enfant. Ceci lui permettra de découvrir que c’est en faisant rire les enfants aux éclats qu’on en tire le plus d’énergie. Cette découverte permettra un bouleversement profond des pratiques dans l’industrie de l’effroi. Alors même si Bob était initialement heureux dans ce monde terrorisant les enfants, il se découvre encore plus de potentiels grâce à sa découverte de bienveillance : tout ceci lui offre une progression professionnelle qu’il n’aurait jamais pu imaginer.


Bouh, l’enfant au cœur pur, l’enfant aux émotions intenses qui rompt la malédiction de la relation par la terreur

Par son audace, Bouh est le petit humain qui s’invite dans le royaume des monstres. Elle leur permettra de réinventer leur mode de relation avec l’enfant. Bouh n’a pas encore acquis un langage suffisant pour expliquer dès le début qu’elle n’est pas une menace pour les monstres de la compagnie. Bouh est une enfant… comme tous les autres ! Elle est tendre, mignonne, sans défense et en recherche constante d’expériences et ce… même si elle ressent parfois des émotions très intenses. C’est avant tout grâce à son comportement non verbal que Sully et Bob découvriront qu’elle est inoffensive et qu’elle exprime des besoins fondamentaux à assouvir (manger, uriner, se réassurer…). Bouh nous montre comment avec la peur comme seule voie de communication, des liens de mauvaise qualité peuvent s’installer (cf. sa relation conflictuelle avec le très effrayant Léon) et comment les liens de confiance peuvent être mis à mal par la peur et la terreur (cf. sa peur à l’égard de Sully qui la terrifie lors d’une démonstration).


Le film d’animation se conclue par un constat édifiant :

« Le rire -d’un enfant- est dix fois plus puissant que le cri ».

Et voilà comment en 92 minutes seulement, j’ai pu réviser les codes de la violence éducative. Et comment également une société peut évoluer vers une communication non violente à l’égard des enfants au profit de tous ses acteurs.

L’analyse de ce film sous le prisme de la vision positive de la parentalité pourra paraître légère et candide pour certains. Néanmoins, n’avons-nous pas besoin d’un peu de trivialité dans ce quotidien en crise ?

Mon regard de psychologue vient alimenter le moulin de la défense des enfants. Il a pour but d’éclairer les parents qui peuvent vite oublier, sous l’effet du stress et de l’anxiété, que leur petit est un individu riche de potentialités et non un tyran malfaisant. Ce message me semble particulièrement important alors que le 119 (ligne téléphonique « Allo, enfant en danger ») vient d’enregistrer +20% d’appels depuis le début du confinement (Source L’Express du 9 avril 2020) …

Que cette analyse serve de petite étoile du berger parmi tous les travaux remarquables des professionnels de la bienveillance. Pour ces parents qui vivent à huis clos, je ne cesserai de leur rappeler qu’élever des enfants seuls n’est pas une situation normale. Il devient alors acceptable de crier dans un coussin, de pleurer dans son garage et de prendre l’air à sa fenêtre ou sur son balcon. Personne ne doit promettre de solution miracle assurant que les temps confinés en famille ne sont que douceur et épanouissement. Néanmoins, en temps de crise, il est important de ne pas mettre de côté ce qui nous permet de rendre nos enfants plus forts. Dans le contexte d’aujourd’hui, la non-violence doit nous rappeler qu’un après-crise est au bout du chemin et que la parentalité positive sera notre alliée pour fournir à nos enfants les meilleurs outils pour y faire face !


Quelques ressources pour les parents épuisés :

  • Une bibliographie pour tous :
    • Anne Raynaud (2019) La sécurité émotionnelle de l’enfant
    • Catherine Gueguen (2014) Pour une enfance heureuse.
    • Héloïse Junier (2019) Le manuel de survie des parents. Des clés pour affronter toutes les situations (de 0 à 6 ans).
    • Isabelle Filliozat (2011) J’ai tout essayé. (Ebook gratuit actuellement sur les différentes plates-formes de téléchargement)
  • Pour approfondir les notions qui tournent autour de l’importance de combattre les violences éducatives (références parmi d’autres) :
    • Boris Cyrulnik et ses travaux sur la résilience
    • John Bowlby et Mary Ainsiworth et leurs travaux sur l’attachement
    • La convention internationale des droits de l’enfant (CIDE)du 20 novembre 1989
    • La loi n°2019-721 relative à l’interdiction de toute violence physique ou psychologique pour éduquer les enfants du 10 juillet 2019
    • Marshal B. Rosenberg (2004). Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs)

Et vous, vous avez vu « Monstres & Cie » ?

Quelle lecture en aviez-vous faite ?

Avouez que vous avez envie de foncer le (re)voir 😉 !

Un immense merci à Ariane Nguyen pour son bel article et cette riche liste de ressources !


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Crédit photo : Site allociné