Suite à la parution sur Psycogitatio de l’article de Marine François sur la victimologie, j’ai eu envie d’écrire un article sur ce que l’on oppose souvent à la victimologie : la criminologie.


Qui suis-je pour parler de criminologie ?


Je m’appelle Marion Dubuisson, je suis psychologue clinicienne et je travaille à mi-temps en cabinet libéral et à mi-temps en Centre de Détention.

J’ai une double qualification, car j’ai d’abord débuté mon cursus universitaire par des études de droit, avant de me tourner ensuite vers la psychologie.

Pendant mon parcours juridique, j’ai montré très vite un intérêt marqué pour le droit pénal et les personnes placées sous main de justice. J’ai donc intégré un Master 1 Criminologie et Victimologie, et suivi un DU de Criminologie dans le même temps. J’ai poursuivi mes études par une année au Canada, à l’Université de Montréal dans un cursus de criminologie. Et j’ai terminé mon parcours juridique par un Master 2 Criminologie et droit des mineurs en difficulté.

L’approche canadienne de la criminologie, très centrée sur la personne, a conforté mon choix de retourner à mes premières amours : la psychologie.

J’ai donc intégré une troisième année de licence de psychologie, suivie d’un Master 1 Psychologie clinique et psychopathologie, et j’ai terminé ma formation par un Master 2 Psychologie clinique, criminologie et victimologie.

Je suis psychologue clinicienne depuis presque 4 ans, et j’ai travaillé dans le domaine de la criminologie en Centre de détention et au Centre Ressource pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violence Sexuelle (CRIAVS Aquitaine).


La criminologie c’est quoi ?


Loin de moi l’envie de vous faire un cours théorique sur la crimino, mais il me semble que certains éléments sont indispensables pour comprendre la discipline.

La criminologie est née au 19è siècle en même temps que les sciences humaines.

R. CARIO propose comme définition : « La criminologie peut être définie comme une science multidisciplinaire ayant pour objet l’analyse globale et intégrée du phénomène social provoqué par les actions criminelles, dans leur genèse et leur dynamique, sous la double dimension individuelle et sociale, du point de vue de l’infracteur comme de celui de la victime, à des fins de préventions et de traitement ».

Quelques éléments clés :

  • pluridisciplinarité  le phénomène criminel est à la fois humain, social et culturel, il est donc nécessaire d’avoir une approche pluridisciplinaire (psychologique, juridique, sociologique,…)
  • approche globale et intégrée  décrire chacune des facettes de ce phénomène, en vue de les comprendre et de les expliquer
  • approche individuelle et sociale  intérêt porté sur l’auteur, la victime et l’acte commis
  • objectifs  prévention et traitement

Du fait qu’elle s’intéresse à la fois à l’auteur et à la victime, la criminologie peut être divisée en deux sous-disciplines : l’agressologie et la victimologie, elles-mêmes divisées en différentes approches générales ou cliniques.

En France, la criminologie n’est pas considérée comme une discipline à part entière, contrairement à d’autres pays comme le Canada, ou plus proche de nous la Belgique, qui proposent des cursus universitaires complets de criminologie.

Chez nous, la criminologie va donc nécessairement être rattachée à une discipline, principalement le droit ou la psychologie. Dès lors, le métier de «criminologue » n’existe pas en tant que tel et n’est pas reconnu comme une profession, il s’agit plutôt d’un domaine de spécialisation.

(Je vous propose tout de même en fin d’article un Podcast sur l’activité de psychocriminologue au sein de la Police Judiciaire.)


La criminologie clinique en pratique : l’individu derrière l’acte


Désolée de vous décevoir, mais moi je ne suis donc pas profiler comme on peut le voir dans les séries américaines comme Esprits Criminels.

Mais alors concrètement, la criminologie clinique ça se traduit comment en pratique ?

Personnellement je suis psychologue, je m’intéresse donc principalement à un individu et non à un acte.

Cependant, dans ma pratique en détention, dès le premier entretien je demande à mes patients ce qui les a amené à être incarcéré, même si la prise en charge n’aura pas pour vocation de travailler d’emblée le passage à l’acte. En effet, je rencontre mes patients dans ce cadre particulier qu’est la prison, l’acte est donc au cœur de la situation, puisque sans cela ils ne seraient pas face à moi dans ce contexte.

Pour autant, l’individu ne peut se résumer à son acte. La clinicienne que je suis va donc s’intéresser à l’individu derrière l’acte et essayer de comprendre la place que cet acte prend dans le fonctionnement psychique du sujet.

C’est là que l’approche criminologique prend tout son sens.

Car la dynamique intrapsychique du sujet ne peut pas à elle seule expliquer le passage à l’acte. Il faut envisager l’acte criminel comme un système complexe, qui implique une diversité de dimensions en liens les unes avec les autres : l’histoire de vie du sujet, le contexte du passage à l’acte, les caractéristiques de la victime, les processus psychiques qui sous-tendent l’acte,… C’est bien la dynamique d’ensemble qui fait sens, pas seulement une dimension en particulier.

Ainsi, la clinique de l’acte criminel tend à rendre compte de l’expérience subjective du sujet à différents moments de l’acte : avant, pendant et après. Il est donc nécessaire d’analyser trois temps :

  • la période antérieure à l’agir : pour envisager là où le sujet s’est trouvé psychiquement en impasse
  • la période criminelle : pour s’intéresser aux modes de réaménagement et de stratégies pour faire-face, incluant la victime et sa fonction dans l’économie psychique de l’auteur
  • la période postérieure à l’agir : pour envisager le rapport du sujet à son acte et à la victime

Je m’arrêterai là d’un point de vue clinique, car cet article n’a pas pour vocation de développer davantage la prise en charge des personnes placées sous main de justice, ou encore l’analyse du passage à l’acte. Peut-être que le rôle et le travail du psychologue en détention fera l’objet d’un autre article si cela vous intéresse.


Pour conclure


Vous l’avez compris, la lecture du phénomène criminel n’est finalement pas chose facile.

Le crime a toujours fasciné, et cette fascination ne cesse de s’accroître comme en témoigne l’engouement des gens pour les séries dont les thèmes principaux sont les tueurs en série ou les crimes en tout genre.

De même, le phénomène criminel est un sujet qui déchaîne les passions et mobilise fortement l’opinion publique.

En tant que professionnelle sur le terrain, il me semble donc primordial de me prémunir contre cette fascination et les émotions qui peuvent être engendrées. C’est là que la formation, les expériences de stage et la supervision ont toute leur importance.


Ressources


  • Même si travailler dans le domaine de la criminologie ne fait pas de nous des profiler, je vous conseille la série Mind Hunter, qui retrace la création de l’Unité des sciences du comportement du FBI

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