L’ouvrage collectif Monstres Contemporains sort aux éditions Inpress sous la direction de Céline Masson et de Catherine Desprats-Péquignot. Le monstre, figure qui a traversé les mythes et la littérature, échappe à la compréhension et à la maîtrise, transgressant l’image et les limites corporelles. Je me suis intéressée plus particulièrement à l’article d’Angélique Gozlan, intitulé « La monstruosité créée au XXIème siècle : enjeux des nouvelles technologies. » 

Altérité radicale, le monstrueux interroge la norme. L’auteur nous montre à travers trois champs cliniques – l’art, la chirurgie esthétique et le virtuel – comment se produit le monstrueux.


ORLAN, artiste contemporaine, travaille notamment sur la transformation corporelle. Elle montre ainsi par son art que le corps peut perdre son caractère de permanence et se modifier, muer, se transformer.  Elle explique que « c’est la différence, petite ou grande qui fait qu’on pense que l’autre est monstrueux« . En illustration, une oeuvre d’ORLAN.

Dans cette idée, la technologie et la chirurgie esthétique dégage des contraintes corporelles, le corps devient transformable à souhait, dans une quête d’un idéal esthétique. Il se produit et ne se reproduit plus. Le monstrueux semble ainsi naître de la collusion entre le corps idéal et le corps monstrueux. Ainsi, Angélique Gozlan donne notamment en exemple Justin Jedlica, alias la poupée humaine Ken.

Enfin, le virtuel, cet espace immense dématérialisant le corps, laisse la place à un corps virtuel qui peut prendre de multiples formes. Angélique Gozlan démontre en quoi l’illimité de l’espace virtuel, l’absence de limites et de frontières, créé du monstrueux. L’exemple d’A. Todd, adolescente qui publie sur Youtube, un mois avant son suicide, une vidéo sur laquelle elle raconte son histoire, nous éclaire sur ce point.

 

Questions à Angélique Gozlan, psychologue clinicienne :


Comment s’est construite cette réflexion sur les monstres et le monstrueux?


La réflexion sur les monstres a émergé au sein des recherches du groupe Pandora qui travaille depuis plus de 10 ans sur la création comme voie et outil d’exploration des processus psychiques d’un point de vue clinique et métapsychologique.
Voici de quoi est parti l’idée de cet ouvrage, dont les publications ont été exposées lors d’un colloque international à l’Université de Saint-Saint-Pétersbourg:

Où en est-on presque 200 ans après l’écriture du roman éponyme de Mary Shelley et la création du monstre de Frankenstein? A quelle démesure (hubris), à quel bouleversement de normes notre époque travaille-t-elle et fait-elle face tant du point de vue de la science que des arts ?
Il est intéressant de rappeler que monstre, « la chose incroyable » vient du latin monstrum et signifie « prodige montrant la volonté de dieu », de monere « faire penser à; faire se souvenir » et donnera monument « ce qui rappelle le souvenir ».

L’homme n’a cessé de représenter des monstres, d’imaginer du monstrueux, puis avec l’essor de la science a cherché à reproduire et produire des monstruosités, des formes monstrueuses, d’ajouter des formes hors normes à celles imaginées ou à celles perçues dans la nature.
C’est par l’exagération de ses contours et de ses traits, ses disproportions et ses « aberrances », sa contredanse et la laideur de sa face, de sa forme, que le monstre est le plus proche du rythme propre au psychisme, et questionne l’effet du travail du monstrueux dans l’inconscient c’est-à-dire le travail des formations avortées, celles restées hors langage, dans l’errance intérieure, exilées du dedans et peut-être advenues dans l’image. Les figures propres au monstre psychique sont des figures qui flottent entre deux eaux avec des airs de revenants ou de fantômes. Ce mode de figurabilité opère par dissemblance, hétérogénéité propre au psychique. Ne trouve-t-elle pas dans l’image picturale son mode d’expression, sa sortie de face-à-face, sa spectacularité?

  

En quoi ces recherches intéressent-t-elles la psychanalyse? 
 
Ces questions intéressent la psychanalyse tout simplement parce qu’elles donnent matière à penser les processus psychiques en jeu, à redéfinir une psychopathologie du quotidien.
Ce qui m’a intéressée dans cette question du monstre revisité à l’ère contemporaine est l’émergence de la monstruosité par l’avènement des nouvelles technologies médicales et numériques. Nous avons toujours eu besoin du monstre comme figure cathartique, figure de projection des angoisses et terreurs tant individuelles que sociales. Mais aujourd’hui, que vient condenser, que vient dire du sujet et de la civilisation le monstre?
La figure du monstre contemporaine, bien que toujours celle de l’excès, se constitue aujourd’hui dans une quête identitaire et hédoniste, reflet du rêve de l’homme nouveau diffusé par les nouvelles technologies, et non plus comme figure du paria ou du reclus de la société. A contrario, alors même que la chirurgie plastique, par exemple, inscrit le monstrueux dans la chair, nous voyons apparaître une nouvelle forme de monstruosité au sein de l’espace virtuel. Le virtuel tend par ses caractéristiques intrinsèques à dématérialiser le monstrueux et à prendre une multitude de formes.

Quelles peuvent être les conséquences de ces recherches dans la clinique? 
  
En tant que clinicien (ne), l’intérêt d’une réflexion portant sur l’émergence de ces formes contemporaines du monstre est d’affiner l’écoute des transformations et des enjeux psychiques des nouvelles technologies sur le sujet. Si le monstre d’hier n’est plus le même que celui d’aujourd’hui, c’est bien parce que le sujet évolue à travers les époques et il nous faut porter un regard et une réflexion sur l’impact psychique et sociétal de ces avancées.
 
Merci à Angélique Gozlan d’avoir répondu à ces quelques questions! 

CV_Monstres-contemporainssouscription: Vous pouvez acquérir ce livre à 15 euros avant le 25 août 2015

Présentation de l’ouvrage sur le site InPress

 

Pour poursuivre la lecture des textes d’Angélique Gozlan sur le virtuel, voici un autre ouvrage: L’adolescent créatif face aux malaises de société