Article-invité rédigé par Lucie LEFOL, psychologue clinicienne, spécialisée en neuropsychologie, travaillant en institution auprès d’enfants et d’adolescents avec déficience intellectuelle et/ou troubles du spectre autistique.
Lucie est également la créatrice du compte Instagram @quoi_tes_psy où vous retrouvez chaque jour une publication humoristique sur le chouette métier de psy !

En cette période de crise sanitaire qui ravage le monde, certains enfants peuvent être touchés de loin ou de près par la mort. Touchés de loin de par l’information quotidienne relayée par les médias du nombre de morts journalier, de près de par la potentielle mort d’un proche… Outre cette période que nous traversons, les enfants seront, à un moment ou à un autre, confrontés à la mort.


De nombreux films Disney permettent d’aborder de façon détournée des thématiques compliquées. Nombreux d’entre eux évoquent la mort (mort de la mère de Dumbo, mort de Mufasa dans Le Roi Lion, etc) mais le film des studios Disney-Pixar intitulé Coco sorti en 2017 (à mon goût trop peu connu du grand public) en fait son thème principal. Il permet également d’aborder de nombreux sujets très intéressants tels que la trahison, la confiance, le pardon, le vieillissement, le transgénérationnel, le souvenir, etc.


Pour faire court (et ne pas spoiler !), voici un petit résumé : Miguel, jeune garçon mexicain de 12 ans, rêve de faire de la musique. Mais dans sa famille, la musique est considérée comme une malédiction. Le jour de la fête des morts au Mexique (« Dia de los Muertos »), Miguel va se retrouver dans le monde des morts. Il va participer à un véritable voyage initiatique aux côtés de ses ancêtres, représentés sous la forme de squelettes. Pour les plus jeunes, ce film sera peut-être la première confrontation avec la mort. Pour les autres, après 1h45 à rencontrer autant de squelettes, ils risquent peut-être d’avoir des questions : « Pourquoi dans ce pays il n’y a que des squelettes ? » – «  Ça veut dire quoi être mort ? » – « Pourquoi Coco (l’arrière-grand-mère de Miguel) pleure quand elle pense à son papa ? ».


C’est pourquoi, je vous propose dans cet article des pistes théoriques et pratiques autour de l’appréhension, la compréhension et l’explication de la mort chez l’enfant.



A quel moment l’enfant comprend ce qu’est la mort ?


Dans Coco, Miguel a 12 ans. Il est bien au clair de qui dans sa famille est mort. En effet, depuis qu’il est petit, chaque année, il fête le « Dia de los Muertos » avec toute sa famille. Cette tradition lui a été expliquée. Cependant, des zones d’ombre sont présentes dans l’esprit de Miguel : « Où va-t-on quand on est mort ? » ; « Qu’est-il arrivé à Ernesto de la Cruz ? » (son idole de la musique). Mais, qu’en est-il pour les enfants plus petits ?


Deux périodes charnières ont été dégagées dans la littérature quant à la compréhension de la mort et les capacités de l’enfant à réagir à une perte : avant et après de 6 ans (Romano, 2007).


Tout d’abord, c’est généralement vers 4 ou 5 ans que les premières questions sur la mort apparaissent. L’enfant cherche à comprendre le monde et pose des questions à partir de ce qu’il voit et de ce qu’il vit : « Pourquoi l’oiseau ne bouge plus ? » ou « Pourquoi notre chat est mort ? ».


Avant 6 ans, l’enfant a une compréhension limitée de la mort. Même s’il sait que le cœur de la personne décédée ne bat plus et qu’il ne peut plus voir la personne décédée, le jeune enfant a des difficultés à comprendre que la mort est permanente et irréversible. Il croit que la mort est temporaire et que la personne décédée va revenir. Il ne réalise pas non plus que tout le monde mourra un jour. Il pense que seules les personnes âgées peuvent mourir. Le recours à l’imaginaire est alors très présent et les jeunes enfants jouent naturellement avec la mort : le cow-boy qui venait de se faire tirer dessus se relève au bout de quelques minutes, la princesse qui venait de boire du poison ressuscite au baiser du prince charmant. Ces jeux témoignent d’une perception non mortifère de la mort. Cette période est aussi marquée par une crainte de la contamination : la mort étant perçue comme une maladie qui se propage et qui peut se transmettre (Romano, 2007). Ainsi, en ce contexte de crise sanitaire, il est important de rassurer les enfants en leur expliquant que la mort n’est pas contagieuse.


Après 6 ans, à mesure que sa maturité affective et ses capacités cognitives se développent, l’enfant comprend que tout le monde peut mourir, et pour toujours. Les questions sur la mort deviennent plus fréquentes car l’enfant cherche à comprendre le monde qui l’entoure et est en quête de réponses : « Le corps, il se transforme comment pour devenir un squelette ? » ; « Il y a quoi après, une fois qu’on est mort ? ». À l’âge de 9 ans, il comprend que la mort est universelle, irréversible et permanente : la mort est comprise comme un principe d’évolution qui se déroule selon certaines règles de cessation des fonctions biologiques. Vers la préadolescence, la conception de la mort chez l’enfant est proche de celle de l’adulte. Les adolescents sont particulièrement exigeants quant aux informations concernant la mort et ressentent de façon persécutrice toute omission ou mauvaise indication relative au décès.


Comment expliquer la mort à un enfant ?


La clinique de la prise en charge de l’enfant endeuillé permet de constater que le deuil chez l’enfant n’est pas identique à celui de l’adulte : l’enfant fait son deuil en fonction de sa maturité affective et cognitive, en fonction de la qualité de ses relations objectales et en fonction de s’il a déjà été confronté à la mort ou non. Comparé au deuil chez l’adulte, celui chez l’enfant a pour spécificité de survenir en période de développement.           


La souffrance ne se manifeste pas aussi clairement que chez l’adulte : l’enfant peut ne montrer aucun signe de souffrance psychique, sous la forme d’un détachement. Il peut aussi de façon plus ou moins différée extérioriser sa peine par de la tristesse, de la colère, de l’agressivité, de l’agitation, de l’anxiété, des attitudes de régression, des perturbations du comportement (sommeil, alimentation), des plaintes psychosomatiques, etc.


Dans Coco, l’incompréhension de Miguel concernant le fait qu’il ne peut pas faire de musique, fait qui est directement lié à Ernesto de la Cruz, va le pousser à des accès de colère et à des comportements déviants, tels que de s’introduire dans un lieu de culte en cassant une vitre afin de voler la guitare d’Ernesto, ce qui va lui permettre de découvrir la vérité. Ainsi, quelque soit son âge et son niveau de maturité psychique, il s’agit de porter attention à ce que l’enfant exprime verbalement et/ou comportementalement.


Une façon d’aborder le sujet avec le jeune enfant est de partir du cycle de la vie dans la nature. Dès 2 ou 3 ans, on peut lui faire observer que les bourgeons arrivent au printemps, que les feuilles poussent pendant l’été, puis qu’elles fanent, tombent et meurent à l’automne. On peut donner d’autres exemples (insectes, fleurs, oiseaux, poissons) pour lui montrer que chaque être vivant a un cycle de vie, et lui expliquer que c’est pareil pour les humains. On peut aussi dire que, parfois, les êtres vivants tombent si gravement malades ou souffrent tellement qu’ils ne peuvent pas rester en vie. Cependant, il faut insister sur le fait que souvent les animaux et les personnes peuvent guérir de leur maladie et peuvent vivre vieux. Pour ce qui est de la permanence de la mort, on peut dire simplement que quand une personne meurt, c’est pour toujours et qu’elle ne reviendra pas. Pour le rassurer, on peut lui dire qu’il est possible de penser aux bons moments passés avec la personne décédée et que cela fait du bien.


Il ne faut pas cacher la vérité à l’enfant. Il faudra donc éviter d’utiliser des expressions comme « s’endormir », « partir », « s’en aller » ou « vivre au ciel » pour expliquer la mort. Car, si on dit à l’enfant que papy s’est « endormi », il risque d’avoir peur d’aller au lit, par crainte de mourir lui aussi. Même chose si on lui dit que papy « est parti pour un long voyage » ou qu’il « vit au ciel », l’enfant attendra son retour. Il pourra se montrer anxieux quand un membre de sa famille partira en voyage par exemple.


Dans Coco, le monde des morts peut aider à répondre à la question : « On va où quand on est mort ? », tout en reprécisant selon les croyances religieuses et spirituelles de chacun.



L’important est de laisser l’enfant mener la conversation, l’encourager à s’exprimer et à poser des questions. L’adulte doit répondre concrètement, en utilisant des mots simples, mais justes. Il est nécessaire d’utiliser un langage basé sur l’authenticité, l’honnêteté et la bienveillance. Il est bon de ne pas lui cacher que certaines choses sont difficiles à comprendre, même pour les adultes.


Dans Coco, Miguel se rend compte que les histoires racontées par sa famille ne sont pas de la fiction, qu’elle ne lui a pas caché la vérité : « Ce n’est pas un rêve alors. Vous êtes tous là. Je pensais que c’était une des choses inventées que les adultes racontent aux enfants ».


Ainsi, il n’existe pas de méthode ou d’outil tout fait pour annoncer la mort. Protocoliser l’annonce de la mort reviendrait à imposer une représentation théorisée de la mort qui ne tiendrait pas compte de la singularité de chaque situation. C’est en parlant et en reparlant de la personne décédée que l’on permet à l’enfant d’avancer dans son travail de deuil.


La question du souvenir


Dans Coco, le Dia de los Muertos permet d’évoquer les notions de deuil et de souvenir : « elle est morte bien avant ma naissance mais dans ma famille, on en parle encore » ; « Quand personne du monde des vivants ne se souvient de toi, on disparait à jamais ». Dans le film, toute la famille accorde une importance, culturelle et religieuse, à cette fête dont le but est de « rassembler la famille ». Toute la famille se réunit dans une pièce dédiée aux défunts : des photos y sont exposées, des offrandes y sont déposées.


L’expérience clinique auprès de l’enfant endeuillé témoigne de l’importance d’offrir à ce dernier un espace et un temps d’écoute où il pourra penser et parler librement de ses émotions, sans craindre de blesser ses proches. Les rituels de deuil, propres à chaque famille, permettent aussi d’encourager l’enfant à exprimer ce qu’il ressent. Les enfants ont souvent des idées bien à eux sur ce qu’ils veulent faire pour dire au revoir à la personne décédée : poèmes, chansons, dessins, montages photos, cadeaux de doudou ou d’autres objets. Cette transmission est importante à respecter car elle permet à l’enfant de s’approprier la mort et d’établir un lien avec le défunt. L’enfant poursuivra ensuite son travail de deuil en regardant des photos, en gardant un objet de la personne disparue, etc.


Dans Coco, le lien entre le vivant et le défunt est représenté métaphoriquement par un pont reliant le monde des vivants à celui des morts. Aussi, à la fin du film et après ce voyage initiatique dans le monde des morts, Miguel raconte l’histoire de ses ancêtres à sa petite sœur. On voit bien ici toute l’importance transgénérationnelle que la participation de Miguel au Dia de los Muertos et la langue déliée de sa famille ont permis.


Selon Hélène Romano (Psychologue clinicienne et Docteure en psychopathologie), il semble important que l’enfant puisse avoir le choix de participer aux rituels de deuil mis en place par la famille car ils permettent à l’enfant de voir que le mort est entouré et honoré. Cela participe à son inscription transgénérationnelle et limite les effets traumatiques consécutifs à des deuils mal élaborés. Il ne s’agit pas pour autant d’imposer à l’enfant une présence absolue aux funérailles, ni d’imposer à l’enfant de voir le défunt. Si l’enfant choisit d’y participer, il doit y être préparé et entouré. Voir la personne décédée peut permettre à l’enfant de mieux comprendre le concept de mort et lui éviter de fabriquer des scénarios imaginaires. Car, en isolant l’enfant, en euphémisant ou en ne lui proposant pas de participer aux rituels autour de la mort, les adultes prennent le risque d’attiser sa curiosité, de renforcer sa propension à la dramatisation ou à la peur, ou de lui donner le sentiment d’être abandonné
au moment même où il a le plus besoin de se sentir rassuré.



Je finirais cet article par les rassurantes paroles tirées de la très émouvante chanson « Ne n’oublie pas » du film Coco :


 « Ne m’oublie pas, je vais devoir m’en aller, ne m’oublie pas. Tu ne dois pas pleurer, même si je suis loin de toi, tu restes dans mon cœur », « tu ne me vois pas, mais je suis tout près de toi ».


Ressources pour les adultes :


  • DOLTO, F. (1998). Parler de la mort. Mercure de France.
  • HUISMAN-PERRIN, E. (2002). La mort expliquée à ma fille. Paris, Éditions du Seuil.
  • LEEUWENBURGH, E. & GOLDRING, E. (2009). Aidez votre enfant à vivre un deuil. Saint-Constant, Broquet.
  • MASSON, J. (2019). Accompagner un jeune en deuil. Montréal, Les Éditions Trécarré.
  • OPPENHEIM, D. (2007). Parents : comment parler de la mort avec votre enfant? Bruxelles, De Boeck.
  • ROMANO, H. (2007). L’enfant face à la mort. Études sur la mort, (1).
  • VAINEAU, A-L. (2012). Comment parler de la mort avec les enfants? , Psychologies. www.psychologies.com

Ressources pour les enfants :


  • http://www.nostoutpetits.fr/wp-content/uploads/2019/08/1-BIBLIOTHEQUE-NTP-pour-les-ENFANTS.pdf
  • https://communoutils.com/cahier-pour-le-deuil/ (cahier d’activités et d’histoires sur le deuil)
  • AUBINAIS, M. (2010). Les questions des tout-petits sur la mort. Montrouge, Bayard Jeunesse.
  • COBB, R. (2016). Au revoir maman. Namur, Mijade.
  • DE SAINT MARS, D. ; BLOCH, S. (2005). Le chien de Max et Lili est mort. Calligram.
  • DE SAINT MARS, D. (2007). Lili a peur de la mort. Calligram.
  • DOLTO, C., FAURE POIREE, C., & Mansot, F. (2003). Si on parlait de la mort. Gallimard Jeunesse-Giboulées.
  • HUARD, A. & DUMONTET A. (2014). La vie, la mort. Toulouse, Éditions Milan.
  • JACQUES J. & PELLETIER P. (2019). Ma vie sans toi. Montréal, Éditions Petit Homme. (cahier d’activités pour accompagner le deuil)
  • POG et LILI LA BALEINE (2017). Mamie est partie. Paris, Gautier-Languereau.
  • SCHMITT, C-L. (2018). Quand Émile est mort… Colmar, Jérôme Do Bentzinger éditeur.