Iris Marceau, psychologue clinicienne, aime écrire. Elle écrit sur des sujets qui la touchent particulièrement, avec franc parler et humour. Son article sur la psychologie intégrative, avait eu du succès sur les réseaux sociaux et avait provoqué un débat. Cette fois-ci, c’est sur la mort qu’elle veut s’exprimer, et plus précisément la représentation de notre propre mort.

 

Imaginer la Mort, c’est inventer une nouvelle couleur

 

Au regard des événements sociaux récents qui frappent les pays Européens, j’ai choisi de me pencher sur un sujet qui me tient à cœur car, malgré les multiples tentatives pour comprendre le rapport de l’être humain à la mort, ou du moins la perception qu’il en a aujourd’hui, ce sujet demeure une source intarissable de fantasmes et d’angoisses dont les conséquences sont observables à l’échelle humaine, mais plus encore. (Oui vous l’aurez compris, cet article sera moins joisse que le précédent, il est d’ailleurs recommandé de le lire en écoutant du Barbara). Et je tiens à m’excuser d’avance, ce texte se compose d’un plus grand nombre de citations. Selon moi il s’agit d’un sujet beaucoup trop sérieux et délicat pour n’être abordé que selon mon regard.

« La perception de la limite de la vie est continuellement présente en nous. » Masi, F. D., Barbon, M., & Bordi, S. (2010). Penser sa propre mort une contribution psychanalytique au problème de la caducité de la vie. Paris: Ithaque.

« Nous pouvons craindre la mort d’un proche, l’anticiper et la pressentir avant même qu’elle n’ait lieu, et nous savons que nous aurons à affronter le vide qui s’ensuivra. Mais se préparer au vide qui se rapporte à nous-mêmes ne va pas de soi. Dans ce cas, le terme même de « vide » apparaît impropre, car nous ne pouvons pas l’opposer à un « plein ». Lorsque nous nous demandons comment nous entendons la mort, nous nous confrontons aux limites mêmes de notre pensée. » Masi, F. D.

Cet extrait de l’œuvre collaborative de Franco de Masi met en exergue le point que je souhaitais souligner et qui constitue le fil conducteur de cet article, à savoir que se représenter la mort au-delà de l’imaginaire collectif, tenter d’en appréhender la réalité, la substance profonde relève de l’impossible. La mort est une partie du Réel selon Lacan, nous ne pouvons pas nous représenter la mort, accepter l’idée peut être mais en saisir toute l’implication demeure chimérique, d’autant plus lorsqu’il s’agit de nous représenter notre propre mort. Tenter d’attraper une telle représentation de façon subjective revient à essayer d’imaginer une nouvelle couleur, Aristote sera d’accord avec moi. (J’ai essayé personnellement, j’ai pas réussi hein c’est super chaud quand même…)

En effet, l’imagination humaine est capable de créer des scénarios dans lequel la mise en situation de la mort intervient. Mais cette représentation est et demeurera fantasmée. Essayez d’imaginer votre propre mort sans que ce ne soit à la troisième personne. S’imaginer mourir à travers le regard d’un observateur imaginaire ne permet pas de dire que l’on est apte à se représenter sa propre mort. La psychanalyse a depuis longtemps étudié ce sujet.

Edmund Husserl dans son livre La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale (1978. Paris : Gallimard) expose un principe simple et primordial pour l’étude du concept de la mort et de son interaction avec l’inconscient collectif, ce dernier terme étant à entendre en tant qu’expression popularisée. Ce principe est le suivant « toute perception est dotée d’une intentionnalité, la donnée perceptive étant le résultat d’un acte qui appréhende quelque chose à l’extérieur et rencontre un objet appartenant au monde de l’expérience commune. […] Or, puisque la mort coïncide avec la fin de toute perception, elle n’est pas un objet dont l’intentionnalité subjective puisse se saisir. Elle est un état de choses inconcevable du point de vue du sujet percevant. Nous ne pouvons pas à la fois faire abstraction de la perception et la faire subsister. C’est pourquoi la mort se situe au-delà de toute expérience pensable. » Masi, F. D.

J’ai choisi ici de citer Franco De Masi, bien que ce dernier ait avant tout reformulé le concept de Jankelevitch sur l’impensable de la mort, dans un souci de simplification.

Ainsi l’angoisse de la mort, en tant que donnée non accessible à la subjectivité de l’être humain, proche du Réel Lacanien, n’est pas sans rappeler l’angoisse éprouvée par le psychotique dont les nœuds [borroméens] structuraux viennent de se désintriquer aux coups de la décompensation, (j’aurai ravi mon quota de lecteur Lacanien). Cet élément donc, s’il demeure étranger à la représentation subjective n’en est pas moins une source de fantasmes et d’angoisses, comme je l’ai évoqué précédemment. Ces affects se manifesteront sous divers plans et échelles d’observations, humaine et sociale. J’observe ici, dans un souci de simplification, la manifestation sociale la plus « courante »: Le fantasme du suicide (Un beau jour, ou peut être une nuit …)

L’exemple le plus prégnant pour ce premier point étant de l’observer chez le plus public des adolescents. « Aucun jeune ne peut passer le cap de l’adolescence sans avoir des idées de mort […] il le fantasme sous la forme métaphorique de suicide […] la tentation de suicide est une fugue à l’intérieur de soi. Une fugue hors des limites du comportement habituel. Le fantasme du suicide est inévitable chez l’adolescent, il est imaginaire donc naturel »  Dolto, F. (1988) La cause des adolescents; R. Laffont

« Une grande envie de mourir […] c’est aussi une grande envie de vivre une autre vie que la sienne. » Dolto, F., Dolto-Tolich, C. (1989). Paroles pour adolescents ou le complexe du homard; Paris: Hatier.

Les œuvres de Françoise Dolto citées précédemment nous amènent à prendre en compte le désir de mort sous un autre angle, à savoir que la mort , dans l’esprit de qui la désire, ne représente pas la fin de la vie. La traditionnelle dualité vie/mort disparaît au profit de l’illusion souffrance /soulagement. En effet, la plupart (oui pas tous, je généralise pas, me frappez pas) des personnes ayant déjà éprouvées le désir de suicide expliquent qu’elles avaient avant tout la volonté de faire taire leur souffrance, avec l’espoir sous-jacent que la mort accéderait à leur demande. La mort devient alors une entité abstraite apportant au mieux la plénitude, au moins la fin de la souffrance. (Il serait intéressant pour qui a l’objectif d’effectuer une recherche plus approfondie de lire les premiers auteurs qui ont observés ce phénomène, tels Aristote, Sénèque ou encore Hippocrate)

Or, jusqu’à preuve du contraire, il convient de rappeler que la mort, toujours en son statut de pendant de la vie, n’apporte que le vide et la fin de toute chose et toute perception et par voie de conséquence la suppression même de la notion de souffrance et de soulagement. On comprend donc que cette forme d' »idéalisation » de la mort , ne prenant pas appui sur une représentation concrète, ne peut donc se positionner qu’en fonction du fantasme qu’elle alimente chez le sujet. Voici donc un des grands mythes de notre société qui s’écroule (enfin du moins pour moi), à savoir que le suicide et la mort de façon plus générale ne sont pas que des concepts morbides, et peuvent alimenter les fantasmes et être séducteurs ainsi que l’évoquait Jean-Jacques Delfour, philosophe et essayiste Français dans son article Le fantasme du suicide paru en 2007 dans le journal Libération.

La mort de par son aspect abstrait provoque, questionne, fascine et inconsciemment effraie. La peur de la mort , lorsqu’elle ne séduit pas, est partout (non je n’alimente pas la parano’ …), elle s’observe dans les conduites sociales, familiales, professionnelles, humaines. Dans les conduites les plus courantes aux plus spécifiques, polices d’assurances vie, hypocondrie, phobies diverses… également dans certains cas, le recours à la religion. Ce dernier élément pouvant aboutir à un fanatisme, dont on peut observer la résurgence dans notre société contemporaine, mais c’est un autre sujet.

Pour résumer, nous pourrions nous demander quelle peut être la solution pour que la mort, bien qu’il soit pour l’instant impossible de se la représenter, perde son côté séducteur, qu’elle ne puisse plus être une source de fantasme au point d’alimenter des conduites sociales dangereuses. Au-delà d’un accompagnement adapté aux personnes dans le déni de l’inéluctabilité de la mort auprès de psychologues ou de personnel médical, il me semble que le point le plus important semble être une mise à mal de ce sujet en tant qu’il est tabou.

Car il faut bien le reconnaître, aujourd’hui en France, le sujet de la mort étant considéré comme triste et morbide n’est abordé que lors d’un deuil (le plus souvent, on parle de la mort à l’enfant lorsque papi est décédé), et même durant ces situations, on en parle avec pudeur, une gêne palpable: « Il est monté au ciel », « Il est avec ta grand-mère là-haut », « Il est devenu une nouvelle étoile » (la dernière est tirée d’une expérience personnelle…), on ne dira jamais que la mort est définitive et qu’on ne sait pas où est parti la conscience du défunt.

Patrick Ben Soussan, pédopsychiatre expose ce fait qu’il est nécessaire d’introduire le concept de la mort chez l’enfant, « avec vérité, attention et bienveillance ». Améliorer nos connaissances dès notre plus jeune âge sur le sujet de la mort ne permettra pas de l’appréhender, en revanche cela peut être à mal nos conceptions de celle-ci et le résultat d’une telle mise en œuvre pourrait permettre de réduire le côté « attractif » du suicide (enfin du moins je l’espère, je ne souhaite pas être trop utopiste sur cette hypothèse). Pour ceux qui souhaitent avoir de plus amples informations sur ce sujet, je vous renvoie à l’œuvre de Irvin Yalom, Thérapie Existentielle. 2008.

Apprenons dès l’enfance le concept de la mort et de son irréversibilité, évitons qu’elle n’alimente d’autres fantasmes plus tard. Nous [adultes] connaissons déjà sa nature, ne la laissons pas devenir autre chose dans l’esprit des jeunes uniquement par peur et pudeur. J’ai conscience que la mise en place de tels dispositifs amènera l’intervention psychologique à se joindre au politique, et que cela représente un risque de confusion dans nos objectifs. Mais notre société observe plus qu’une simple résurgence des comportements sociaux dangereux, comportements dont je suis sûre qu’ils seraient restreints si nous prenions le temps de discuter de ce sujet et de faire la lumière sur ce qu’il est.

Acceptons-la, verbalisons-la, démystifions-la, mais plus que tout ne nous ne la représentons pas. Car quoique l’on tente de percevoir, elle ne sera pas ce que nous imaginons, après tout nous n’avons jamais réussi à inventer une nouvelle couleur.

Iris Marceau

Maintenant je vous conseille après cette lecture plus que haute en couleur d’aller regarder un épisode de la petite maison dans la prairie en faisant des grattouilles à votre animal de compagnie…