UN PSY + UN PAYS = UNE EXPÉRIENCE PAR-DELÀ LES FRONTIÈRES. Psycogitatio a rencontré Ornheilia, psychologue et enseignante-chercheuse au Bénin.


« nous connaîtrons en 2021*, notre première promotion d’étudiants titulaires d’un master professionnel  »


Le témoignage d’Ornheilia est le premier du continent africain. L’objectif de ce tour du monde est de documenter et éclairer sur ce que peut être la pratique professionnelle de la psychologie ici et ailleurs. Si vous exercez vous-même dans un pays autre que la France métropolitaine, écrivez-moi à [email protected] et continuons ensemble cette exploration. Avec Psycogitatio nous nous ferons une joie de publier votre témoignage.


Notre psy


Ornheilia Zounon psychologue au Bénin

Je m’appelle Ornheilia Zounon, je suis née au Bénin et je porte la nationalité de ce pays. Parce que mes parents y tenaient, ils ont financé l’ensemble de mes études universitaires en France, où je suis arrivée en 2005. J’ai fait le choix ensuite de revenir dans mon pays après mes études. Mais avant cela, j’ai d’abord profité d’une petite période sabbatique car je ressentais le besoin de faire une pause, de me ressourcer pour mieux définir mes choix. Mon retour au Bénin s’est fait en 2016.


Je n’aurais pas pu travailler dans un autre pays que le mien. Les défis sont immenses, à commencer par la formation des étudiants et l’institutionnalisation de la profession. Il y a de la place (en termes de part de marché) pour s’installer en libéral, et la demande est croissante grâce, aux efforts de vulgarisation entamés. Par ailleurs, adapter les concepts abordés lors de ma formation aux réalités socio-culturelles est véritablement passionnant.


De plus, je trouve que la vie y est relativement paisible, loin du stress et de la pression des grandes métropoles. Dans la ville où j’habite il y a la mer et dans le nord du pays les montagnes. Il y a toujours de quoi se dépayser, même pour une native comme moi.


Son parcours de formation


J’ai poursuivi toutes mes études à l’Université de Toulouse 2. J’ai obtenu ma licence de psychologie en 2008 et fait mon stage d’observation, au Bénin, dans une structure bancaire. J’avais essayé d’observer, alors que le monde était dans la tourmente d’une crise financière, le stress des agents en contact avec la clientèle.


Au cours de mon année de master 1, j’ai effectué mon stage à la Ligue contre le cancer (comité de la Haute-Garonne), essentiellement sur des missions de sensibilisation et d’éducation à la santé. Dans le cadre de mon master 2 professionnel de psychologie de la santé : psychopathologie du stress dans la maladie, obtenu en 2010, j’ai fait deux stages. J’avais eu beaucoup de mal à les trouver d’ailleurs. Le premier a été effectué dans une MAS (maison d’accueil spécialisée) et une maison de retraite et, le deuxième en milieu hospitalier, dans une clinique de rééducation cardio-vasculaire.


J’ai ensuite fait le choix de poursuivre avec un doctorat, et j’ai soutenu ma thèse le 19 juin 2014. Au cours des quatre années de rédaction, j’ai effectué de nombreux stages de recueil de données en milieu hospitalier, dans mon pays le Bénin.


Carrefour Sacré Cœur à Cotonou Bénin, auteur Osia ZANNOU, Wikimedia

Son retour béninois


Dans un premier temps, j’ai cherché à m’assurer un emploi avant d’envisager vraiment de revenir au Bénin. Je savais que m’installer en libéral serait aventureux, car la profession n’y était pas du tout encadrée. Et c’est d’ailleurs encore le cas aujourd’hui.


J’ai vécu un paradoxe, puisque je suis native du pays, mais que j’ai tout de même vécu onze années en France. Il a fallu que je m’intègre dans mon propre pays et presque quatre ans après, le processus est toujours en cours.


Un psy + un pays = une alchimie


Puisque je suis titulaire d’un doctorat, j’ai été recrutée dans le seul département de psychologie d’une université publique du pays, l’Université d’Abomey-Calavi (une autre université, confessionnelle, propose la filière).


Lors de ma prise de fonction, des masters recherche en psychologie existaient déjà et quelques étudiants s’y inscrivaient chaque année. Mais c’est seulement depuis cette année que les masters professionnels ont pu débuter et nous connaîtrons en 2021*, notre première promotion d’étudiants titulaires d’un master professionnel « . Deux options sont disponibles pour le moment : Psychologie clinique et Psychopathologie d’une part, et Psychologie du Travail et des Organisations d’autre part.


A l’université, j’interviens à tous les niveaux, principalement en psychologie clinique, psychologie de la santé, statistiques, méthodologie, éthique et déontologie du psychologue, ce qui n’est pas simple vu qu’il n’existe pas d’institutionnalisation locale de la profession. J’accompagne aussi des étudiants comme tuteur de stage et comme référent dans la rédaction de leur rapport de stage. Je co-dirige des étudiants pour leur mémoire de master 2 (je n’ai pas encore le grade requis pour les diriger pleinement seule).


Concernant mes travaux de recherche cette année, je me concentre sur deux principaux projets : (1) le rôle de la musique dans les mutations psychologiques, sociales et communicationnelles, (2) le marketing religieux, ou comment les gourous de la place manipulent les masses dans une logique économique.
En fin d’année, je pense choisir des échelles et tests pour essayer d’établir un étalonnage local afin de faciliter l’évaluation des troubles mentaux.


Je cultive la pluridisciplinarité pour que les autres collègues enseignants-chercheurs des autres disciplines perçoivent et constatent l’utilité du métier. Par exemple les semestres pairs ont commencé, et le département de sciences du langage et de la communication a décidé de mettre la psychologie de la communication en module de formation pour les étudiants de licence 3.


En parallèle, je reçois des patients à mon domicile, mais ce n’est pas mon activité principale car pour le moment, je manque de disponibilité pour y consacrer plus de temps. Dans ce contexte où le titre n’est pas encadré, on retrouve des parcours divers auprès des personnes qui en usent. Par ailleurs, le contexte culturel est très marqué par la pudeur, et par une organisation sociale qui freinent peut-être les demandes de soin. La mission du psychologue n’est pas bien cernée et souvent confondue avec celle de psychiatre. Malgré cela, les demandes sont relativement fréquentes, et je connais des psychologues exerçant en cabinet qui ont une patientèle conséquente et arrivent à vivre décemment de leur métier.


Bon à savoir pour travailler au Bénin en tant que psy


Il y a des possibilités de travailler dans des structures publiques (réservé aux nationaux), privées, associatives… Le salaire moyen est relativement correct (350 000 fcfa soit environs 500 euros mensuels au minimum), au vu du niveau de vie du pays. A titre d’exemple, louer un appartement T2 peut revenir à environs 90 euros par mois.


La Profession est reconnue mais le titre est n’est pas encadré par la loi. J’espère de tout cœur que cela pourra se faire dans les prochaines années.


Depuis 2017 a été créé l’Association béninoise des psychologues cliniciens (sous l’impulsion d’un collègue) et nous avons bon espoir, petit à petit, de donner ses lettres de noblesses au métier. Il y a un travail de fond à réaliser pour faire reconnaître la profession. Nous travaillons à la création d’un ordre des psychologues, mais cela ne sera pas une réalité avant plusieurs années. Pour le moment, il s’agit principalement de constituer des groupes d’influence, pour parler de la profession, dans les débats publics. Par exemple, j’accepte souvent des interviews radiodiffusées ou dans la presse écrite, pour donner le point de vue du psychologue sur des faits de société.


Lorsque l’occasion s’y prête, j’essaye de parler de la profession, de faire connaitre l’existence des psychologues au Bénin, au corps médical par exemple, qui pense dans sa grande majorité qu’il n’en existe pas dans le pays.


La prochaine étape est d’intéresser les politiques… Je crois que ça se fera lorsque nous arriverons à bâtir une corporation forte avec une identité propre solide et des membres plus nombreux.


Et la langue dans tout cela ?!


Le français est la langue officielle. Mais il est beaucoup plus facile de s’imprégner des choses si l’on parle une des langues locales. Il y en a environ 77 parlées sur tout le territoire.


Parler une langue locale facilite donc les choses. Mais on est rapidement « repéré »! Peut-être par les méthodes de travail, l’accent qui a subi l’influence toulousaine, le style vestimentaire, etc., comme un étranger. Personne n’est jamais franchement hostile, mais on peut se sentir en décalage avec son monde. La sensation s’estompe avec les années, mais certaines situations la ravivent toujours.


L’aventure d’Ornheilia vous tente ?


Voici quelques liens qu’elle vous suggère de visiter :



Retrouvez les pays que nous avons déjà parcourus :



Photos fournies par Ornheilia, Fanick ATCHIA from PexelsOsia ZANNOU from Wikimedia

* A cause de la crise liée au covid-19, les cours n’ont pas pu se dérouler dans des conditions optimum. Les stages notamment n’ont pas pu se dérouler. La promotion sortira probablement en 2021 et non en 2020 comme prévu initialement.