Être psy en Israël
UN PSY + UN PAYS = UNE EXPERIENCE PAR DELA LES FRONTIERES. Nombre de pays connaissent un nouveau confinement, malgré cela nous poursuivons notre tour du monde des psychologues! Direction: Israël à la rencontre d’Elie.
« Comme j’avais déjà travaillé en France, je n’avais qu’une partie de l’internat à faire pour valider mes années de professionnalisation.»
Ce voyage autour du globe a pour objectif de documenter et éclairer sur ce que peut être la pratique professionnelle de la psychologie ici et ailleurs. Si vous exercez dans un autre pays que la France métropolitaine, écrivez-moi à [email protected], avec Psycogitatio nous nous ferons un plaisir de partager votre témoignage.
Notre psy
Je m’appelle Elie Taïeb. Je suis d’origine française, né dans le sud de la France, j’ai grandi en Israël. Mes parents ont immigré en Israël quand j’avais 3 ans et à l’âge de 20 ans je suis retourné en France. J’y suis resté une quinzaine d’années. Je me suis récemment rapproché à nouveau d’Israël ; j’y suis venu avec ma femme et mes enfants il y a environ cinq ans, avec l’objectif de tenter une vie familiale et professionnelle sur place.
Son parcours de formation
Après des études générales, j’ai commencé mes études en psychologie. J’ai d’abord fait ma licence à distance à Reims, puis le master en présentiel à l’université de Strasbourg, en psychologie clinique et psychopathologique. J’ai travaillé ensuite en pédopsychiatrie en Alsace, au Centre Hospitalier d’Erstein. J’y faisais des bilans psychologiques et des psychothérapies avec les enfants, puis également avec les parents certaines fois.
Ce qu’il faut savoir c’est qu’ici en Israël, comme aux Etats-Unis d’ailleurs, après le master de psychologie vous recevez le droit d’exercer sous supervision, donc avec certaines limitations. En fait dans le cursus ici, les psychologues font encore quatre ans de professionnalisation. C’est un peu comme l’équivalent de l’internat en médecine en France. On doit travailler quatre ans à mi-temps dans une institution, dont une année dans un service de psychiatrie. Comme j’avais déjà travaillé en France, je n’avais qu’une partie de l’internat à faire pour valider mes années de professionnalisation. A la fin de cette période il y a un examen devant un jury.
On présente d’abord à l’écrit un cas clinique avec lequel on a travaillé pendant une longue durée, avec un développement théorique, ainsi qu’un dossier psychodiagnostic. Ensuite on passe à l’oral devant le jury qui est composé de trois personnes. Le jury valide ou non le statut de psychologue professionnel, ou psychologue expert ; c’est comme cela que ça s’appelle ici ! Ce titre vous permet d’être légalement indépendant, vous n’êtes plus obligé d’être supervisé et vous avez le droit de signer vous-même vos bilans psychologiques. Ce titre vous donne le droit d’être complètement autonome.
En réalité, dans la pratique, les psychologues continuent à aller en supervision. Il y a toute une hiérarchie dans la formation des psychologues car ensuite, trois ans plus tard, vous pouvez monter votre dossier et passer devant un jury pour devenir vous-même superviseur.
Mes années de professionnalisation, je les ai faites à l’hôpital Hadassa à Jérusalem, dans le service adulte. Je voulais connaître cette population clinique. J’ai été en service fermé puis ensuite j’ai encore pratiqué deux ans en ambulatoire dans le même service de psychiatrie. Je n’y étais pas obligé mais j’en avais envie.
Son intégration israélienne
Quand je suis parti en France j’étais jeune homme, je n’avais pas de famille à charge. La vie en Israël s’est révélée pour moi très différente de ce que j’avais connu en tant que jeune homme. A l’époque, n’ayant pas de charge financière, je ne connaissais pas du tout le monde du travail. A mon retour, ça n’a pas été évident, il y avait une adaptation à faire, c’est un pays dans lequel vous êtes obligé de réussir. Ce n’est pas un pays où vous pouvez simplement travailler et gagner votre salaire. Vous devez toujours en faire plus pour réussir et pour obtenir une certaine sécurité financière. C’est un pays plutôt capitaliste, qui n’a pas le même fonctionnement qu’en France. Le choc des cultures est difficile. Bien que j’ai grandi là, je reste plutôt de culture française.
En réalité c’est un petit pays, mais il y a une grande diversité de courants socio-culturels. Il y a des groupes très orthodoxes ou bien complètement laïques, il y en a d’autres encore qui se situent entre les deux. Il y a des juifs, des arabes israéliens, des arabes palestiniens et beaucoup d’américains, de russes et de français ! C’est vraiment un pays melting-pot.
Etant juif pratiquant j’ai trouvé facilement du travail dans les institutions du public orthodoxe et j’y suis donc allé. Aujourd’hui je ressens le besoin de travailler avec un public plus diversifié. Je pense que cette répartition est liée au fonctionnement du pays. Bien qu’il existe une certaine harmonie en générale, les courants sont très différents et très marqués. Par exemple, et c’est une richesse, en allant dans tel ou tel quartier vous serez souvent immergés dans des styles très différents et particuliers de population. Aussi Jérusalem est une ville assez cosmopolite, vous pouvez avoir dans un même quartier des chrétiens, des musulmans, des juifs, orthodoxes et laïcs. Il y a par conséquent des structures plus ou moins hétéroclites.
Un psy + un pays = une alchimie
J’ai fait le choix de travailler dans le service public pour l’instant. J’ai également une petite activité en libéral. Je trouve que l’exercice en indépendant requiert beaucoup de travail de logistique et de gestion, ce qui n’est pas forcément plus rentable financièrement au final. Actuellement je travaille dans deux institutions. Dans l’une d’entre elles il y a un travail institutionnel important, tandis que dans la seconde le travail est essentiellement individuel. Dans le service public, la population est différente par rapport à celle que l’on peut rencontrer en libéral. En effet, souvent il s’agit de personnes qui n’ont pas beaucoup de moyens. Parfois ce sont aussi des personnes qui cumulent des troubles psychiques avec des difficultés sociales. Par ailleurs, le travail en institution requiert dans certaines situations une collaboration avec le médecin psychiatre.
Dans mon activité je fais essentiellement de la psychothérapie, plusieurs heures par jour. J’ai deux heures de supervision par semaine, puis environ quatre heures de formation clinique et des réunions institutionnelles.
Ce qu’il faut savoir c’est que les israéliens sont très ambitieux. Ils prennent très au sérieux le travail, et aspirent toujours à se former davantage. Il y a toujours une soif de connaître et de découvrir, ce qui donne beaucoup du dynamisme. Je pense aussi que dans le métier de psychologue la question de l’enrichissement du savoir est cruciale, car il s’agit d’une science humaine, en quelque sorte inépuisable. Par ailleurs, l’exercice clinique requiert un travail important de réflexion et de supervision.
En Israël il y a également une volonté d’accompagner et de soutenir les cliniciens ; les aider, les stimuler et leur donner des pistes de travail. En tant que psychologue clinicien cela est très important car autrement, dans la pratique clinique, on peut se sentir très vite seul et démuni.
D’autre part, ma formation à Strasbourg était d’orientation freudienne et lacanienne. En Israël l’orientation est plutôt Anglo-Saxonne. Ce qui veut dire qu’il y a d’une part beaucoup de psychothérapeutes comportementalistes pratiquant des TCC. D’autre part, la psychanalyse est également très développée en Israël. La formation des psychologues cliniciens se réfère essentiellement à la psychanalyse. Cependant, elle est plutôt orientée par les théories psychanalytiques anglo-saxonnes de la relation d’objet, comme celles de Winnicott, Klein et d’autres, ou bien encore par les théories de la psychologie du self et des courants intersubjectifs. Il existe tout de même une école Lacanienne qui se développe depuis plusieurs années à Tel Aviv. Personnellement je suis resté assez fidèle à ma formation originelle mais ces nouveaux outils ont tout de même apporté un enrichissement non négligeable à ma pratique.
Il est important de signaler également qu’en Israël la formation clinique et psychopatologique des psychologues, ne leur accorde pas le titre de psychanalyste. Ce titre est réservé aux personnes ayant étudié par ailleurs dans une école de psychanalyse durant sept années. Ce sont des études intensives et onéreuses. Elles comprennent une psychanalyse personnelle de 3 à 4 fois par semaine, ainsi que plusieurs heures de contrôle par rapport à ses propres analysants, puis en fin de parcours des examens et contrôles devant plusieurs jurys.
Bon à savoir pour travailler en Israël en tant que psy
En Israël il y a un conseil des psychologues qui gère tout ce qui est examens et professionnalisation. Lors des quatre années de professionnalisation du psychologue, il doit envoyer chaque année au conseil ses évaluations. Il doit justifier d’un certain nombre de bilans réalisés, ainsi que de ses heures de psychothérapies et de supervisions. Vous devez avoir deux superviseurs, chacun d’entre eux rédige une fois par an un compte-rendu de votre évolution. Par rapport à ce qui se fait en France, le métier de psychologue est bien plus valorisé ici, il est pris très au sérieux, ce qui le rend plus difficile et plus difficilement accessible.
Si vous travaillez en hôpital public, vous serez très mal payés… Dans le privé c’est différent, il y a des cliniques conventionnées par la sécurité sociale et les patients peuvent être remboursés partiellement ou même intégralement selon les institutions. Grâce à une réforme qui a eu lieu il y a cinq ans en Israël, les soins psychologiques sont aujourd’hui pris en charge par la sécurité sociale. Le patient bénéficie d’un certain nombre de séances remboursées par an. C’est assez flexible car dans certaines situations le psychologue peut demander à la sécurité sociale une prolongation exceptionnelle des soins. Le patient peut également, sous certaines conditions, renouveler sa demande de prise en charge auprès de la caisse maladie, après l’écoulement des séances attribuées. C’est assez novateur et très paradoxale car Israël n’est pas considéré comme un pays « social ».
Depuis que cette loi est passée les patients affluent, ce qui entraîne naturellement des longues périodes d’attente, pouvant aller jusqu’à six mois ou un an, avant de démarrer une prise en charge dans le service public.
Ici les gens sont férus de travail. Au niveau économique c’est un pays libéral, donc vous pouvez travailler 45 heures par semaines, comme 60 heures ou plus si vous le souhaitez. Tout dépend de votre organisation et de vos priorités dans la vie. Dans le privé, les tarifs ne sont pas encadrés, le psychologue fixe son propre tarif. Cela peut varier selon les praticiens et leur niveau professionnel, entre 50€ et 150€ la séance. Toutefois, les taux d’imposition sont assez élevés, on peut facilement atteindre les 40 à 50% de taxation, toute taxe confondue.
Être psy est considéré comme un bon métier, permettant de gagner un salaire correct. Mais pour vivre en Israël avec une famille, il faut avoir plutôt deux salaires corrects, soit entre 2 et 4 mille euros pour chaque salaire, tout dépend de l’importance de la famille. Cela parait beaucoup mais c’est juste. En tous les cas il me semble que le salaire moyen en Israël, ne correspond pas véritablement au niveau de vie et aux besoins du citoyen. Avant de s’installer ici, il faut donc avoir une idée très claire du mode vie que l’on souhaite mener ainsi que de son coût. Il faut être déterminé et il faut surtout véritablement avoir envie de s’y s’investir. L’avantage étant que le marché du travail ici n’est pas saturé et que l’on peut y trouver plus facilement du travail.
Et la langue dans tout cela ?!
La plupart de mes patients sont israéliens donc je parle avec eux en hébreux. Par ailleurs, j’ai aussi un pourcentage assez conséquent de français émigrants et d’israéliens francophones. En Israël les gens viennent beaucoup et partent aussi beaucoup à l’étranger, il y a toujours eu de l’immigration et de l’expatriation. Je suis sensible aux difficultés de la population émigrante. La sécurité sociale est également à l’écoute de ses besoins. D’ailleurs elle lui accorde une certaine priorité pour l’accès aux soins.
L’anglais est la langue de travail ici, vous l’entendez beaucoup dans les rues, surtout à Jérusalem. Le niveau est assez élevé. Ayant fait mes études en France mon niveau d’anglais n’était pas suffisamment bon en arrivant. Dans mon travail j’ai souvent des formations et des lectures qui se font en anglais.
On entend aussi beaucoup le français à Jérusalem, parler français reste un avantage. Il y a un pourcentage assez important de francophones dans le pays et dans certaines villes, comme Jérusalem et Tel Aviv, il y a une concentration particulièrement importante de familles françaises.
L’aventure d’Elie vous tente ?
Ministère de la santé, page du système de soins psychologiques :https://www.health.gov.il/French/UnitsOffice/HD/MHealth/Psychology/Pages/default.aspx
Pour comprendre la place de la psychologie en Israël : https://www.psychology.org.il/la-psychologie-en-isra%C3%ABl
Pour s’imprégner d’une part de la culture israélienne, documentaire sur le Talmud : https://www.arte.tv/fr/videos/034236-000-A/le–talmud/
Si vous avez encore des questions par rapport au travail en Israel, vous pouvez écrire directement à Elie : [email protected]
Retrouvez les pays que nous avons déjà parcourus :
Photos fournies par Elie & Pixabay.